Des chaînes de l’esclavage à l’enfer carcéral : Le long calvaire des Africains-Américains
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Depuis 2015, plus d’une centaine de nos frères et sœurs Africains-Américains ont péri sous la violence arbitraire d’officiers de police de la nation « garante du respect de la démocratie et de la justice dans le monde ». Ce pays qui maintient plus d’un million d’hommes Africains-Américains, derrière les barreaux de ses prisons. Si l’on peut comprendre la nécessité de réprimer le crime dans toutes sociétés, celle-ci devrait se faire dans le respect de l’impartialité de la justice et des droits de la personne humaine. Le caractère hautement discriminatoire du système judiciaire américain, laisse douter de son équité.
L’incarcération de masse résulte d’une volonté politique évidente qui banalise le profilage ethnique, la criminalisation de populations déjà défavorisées par le racisme institutionnel qui a organisé leur marginalisation et aggravé les inégalités et traumatismes issus de l’esclavage. Sous le prétexte de la lutte contre la drogue, les jeunes noirs seraient selon certaines sources, cinq fois plus susceptibles d’être contrôlés, arrêtés et emprisonnés que leurs concitoyens blancs.
Aujourd’hui, ce sont les victimes de l’oppression et de la pauvreté qui peuplent les prisons de la première « Démocratie du monde ». Les descendants de ceux qui après avoir enrichi l’Amérique par leur labeur et leur ingéniosité (voir les inventions faites par les noirs), n’ont pas obtenu, après la fin de la guerre de sécession, la promesse d'indemnisation (16 hectares de terre et une mule) qui leur aurait permis de faire face à leur nouvelle vie d’hommes libres. Une nouvelle législation ségrégationniste (les lois Jim Crow) allait s’atteler à organiser la discrimination systématique de cette population qui, au lendemain de l’abolition de l’esclavage, comptait selon certains, plus d’ouvriers qualifiés que la population blanche. Et leurs différentes tentatives de prendre leur destin en main ont sévèrement été découragées et réprimées1, à l’exemple de « Black Wall Street ».
Le combat des « droits civils » allait participer à desserrer l’étau qui étouffait les libertés des noirs d’Amérique. Le système pour apaiser les tensions raciales, éviter toutes velléités de séparatisme qu’il avait pourtant lui-même instauré par la ségrégation, a préféré favoriser l’idée de l’intégration de la communauté noire, permis l’émergence d’une « bourgeoisie noire » (comme en Afrique). Cette stratégie éprouvée qui consiste à accorder quelques privilèges à une minorité parmi les populations opprimées, dans le but d’occulter la violence que subissait la grande majorité, tout en vendant aux incrédules, l’illusion du « rêve américain », qui repose sur le cauchemar de leurs ancêtres. Notons au passage que même les Africains du continent vont succomber à l’illusion céder aux sirènes du rêve Américain.
L’ignorance de leur histoire commune fait que ces derniers une fois arrivés sur le sol américain, demeurent aveugles à la condition leurs frères et soeurs Africains-Américains. Ils cèdent facilement les uns comme les autres aux stratégies de division qui les empêchent de renouer les liens fraternels violemment rompus par l’esclavage, et d’embrasser d’amplifier le combat pour plus de justice raciale.
C’est dans cette perspective que Michelle Alexander2 analyse le phénomène de l’incarcération de masse qui touchant particulièrement les hommes noirs, qu’elle considère comme un moyen de contrôle social. L’emprisonnement massif des Africains-Américains permet de les priver de leurs droits de vote, les exclut du marché du travail et permet d’avoir le contrôle sur une masse d’individus à la conscience politique aiguisée et l’ardeur militante éprouvée sur le sol américain, potentiellement révolutionnaires, parce que n’ayant rien d’autre à perdre que leurs chaînes.
Il faut noter que les prisonniers constituent une main d’œuvre à bon marché pour les entreprises américaines et que la population carcérale n’est pas constituée principalement que de criminels, mais de malades mentaux qui au lieu d’être traités, sont tout simplement incarcérés.
Les crimes, les homicides perpétrés par les policiers américains s’inscrivent dans la continuité des odieux crimes racistes et lynchages des siècles précédents.
Ces événements qui se déroulent sous le mandat du « premier Président noir » des États Unis, prouvent que la simple accession des Africains à la tête d’institutions, qui ne leur appartiennent pas, ne suffit pas à garantir leurs libertés et leurs droits fondamentaux. La situation actuelle aux États Unis ressemble étrangement à ce qui se passe en Afrique depuis les indépendances : à savoir cette stratégie qui consiste à donner un visage noir à un pouvoir blanc. Elle permet de pérenniser l’oppression des Africains.
N’est-ce pas ce « premier président noir » à la tète de l’État qui incarne le système d’oppression et d'exploitation capitaliste dans le monde, qui a accéléré la nouvelle phase de recolonisation de l’Afrique, qui se traduit par la déstabilisation de la Libye et le déploiement des troupes américaines sur le continent, pour assurer le contrôle de ses ressources, tout en nous invitant, avec le plus grand sérieux, de cesser de parler de la colonisation qui appartiendrait à un passé révolu ?
Aurions-nous oublié que nous avions aussi des rois, des empereurs et des chefs d’Etat Africains ?
Tant que nous verrons notre prestige dans le regard des autres, dans le fait de servir les intérêts politiques économiques et commerciaux au sein de leurs institutions, serait ce aux degrés les plus élevés, elles ne cesseront d’utiliser la promotion des individus pour organiser notre naufrage collectif.
Le temps est venu pour les Africains de se réveiller. Il est moralement inacceptable de s’installer durablement dans cette situation qui fait de nous les « parias » de l’humanité et continuer à éviter notre responsabilité humaine à l’égard de nous-mêmes. L’Afrique et son destin, n’appartiennent pas à nos dirigeants. Il appartient aux Africains de se doter des dirigeants et des institutions qui servent leurs intérêts, mais encore faudrait il que nous ayons des intérêts collectifs à défendre.
Il nous faut nous rappeler le devoir de protection du continent, à l’égard de ses fils qui lui ont été arraché par la violence de la cupidité humaine, disséminés aux quatre coins du globe, et dont le sort est quasiment absent de nos préoccupations politiques et de nos réflexions académiques.
Nous devons accorder une plus grande considération à nos frères de la diaspora, dont le cri de révolte et les complaintes de douleurs tout autant que leurs élans de libération nous sont parvenus. Il appartient maintenant au « continent-mère », de se surpasser, en se débarrassant de ses vieux démons, afin de s’attaquer aux déchirures de ses fils maintenus en captivité depuis des siècles. Le temps est venu pour les Africains de travailler avec détermination à l’édification d’une Afrique forte et prospère qui fera la fierté de ses enfants même les plus réticents. Une Afrique, capable d’assurer la protection de ses ressortissants où qu’ils se trouvent et d’accueillir tous ceux qui le souhaitent.
Particulièrement révoltante est la condition des Africains-Américains, C’est d’autant plus déplorable, que nous continuons d’attendre la justice d’un Etat fondé sur le génocide des Indiens et l’esclavage des Africains. Un pays qui s’érige en donneur de leçon et qui continue, de se comporter ouvertement de la façon la plus tyrannique à l’intérieur de ses comme à l’extérieur de ses frontières. Tout aussi regrettable est le silence des Africains face aux meurtres commis à l’encontre de leurs frères et sœurs, par des autorités policieres qui sont censées les protéger, ainsi que l’indifférence de la société civile africaine et des autorités religieuses du continent, face au problème de l’incarcération de masse qu’ils subissent. De quelle foi pourrait-on se vanter, si on ne combat pas ardemment pour l’avènement d’un monde de Justice, condition de la Paix ?
Sidya Diop
Notes
1 Lois portant sur la ségrégation raciale entre les blancs et les noirs du sud des Etats–Unis, de la période qui s’étend de la reconstruction qui précède la fin de la guerre civile jusqu’aux années 1950 1960.
Africatown, Alabama et Greenwood « Black Wall Street », à Tulsa, Oklahoma.
2 Alexander Michelle, the New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness.
Edi: The New Press: Reprint (2012).
Quigley Bill Fourteen Examples of Racism in Criminal Justice System
07/26/2010 07:45 am ET | Updated May 25, 2011
http://www.huffingtonpost.com/bill-quigley/fourteen-examples-of-raci_b_658947.html