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Domination et manipulation - suite et fin


Les deux autres formes de manipulation de la conscience des individus consistent en l’altération de leurs modes de pensées et la falsification de leurs valeurs.


  •  En Altérant les facultés mentales 


Altérer la perception de soi et de la réalité par la restriction de nos capacités d’analyse et de raisonnement, en nous faisant croire par exemple que la pensée africaine serait intuitive, ou encore, en séparant la spiritualité de la rationalité.

Nos modes de pensée reflètent les rôles sociaux que l’on joue ou qui nous sont assignés dans la société. La pensée devient concrète, engagée et mobilisée par des activités concrètes, conceptuelle et abstraite quand elle est engagée et mobilisée dans des activités qui demandent l’usage de ces modes de pensée.

Ceux qui veulent contrôler les modes de pensée des individus, contrôlent les rôles dans lesquels ces derniers sont engagés.

Dans ce sens, la discrimination est, une des formes de contrôle de la conscience.

La discrimination, en limitant l’accès à certains emplois et en restreignant certaines opportunités aux Africains, en faisant que la lutte pour la vie mobilise l’essentiel de leur temps, sert au contrôle de leurs modes de pensée transforme les schèmes cognitifs et les orientations intellectuelles des Africains.

Il suffit d’enfermer les individus dans certains rôles qui ne nécessitent pas l’usage de certains outils de la conscience et on pourra prétendre qu’ils ne disposent pas de ces facultés.

La discrimination permet de réduire les expériences d’un groupe et partant de leurs potentialités.

La division du travail qui réserve aux autres les fonctions de commandement, de conception et de planification et à nous, les tâches d’exécution, nous confine dans ce mode de pensée concrète, immédiate qui nous empêche de nous projeter dans l’avenir.

Alors que les instruments opérationnels, les facultés de l’esprit sont également présents chez tous les individus indépendamment de leur ethnie ou culture. 

  • En corrompant les valeurs

Pousser les individus à valoriser des choses et comportements qui les maintiennent dans la servitude, habitudes de surconsommation, poursuite d’idéaux déconnectés de nos réalités, etc. Surtout lorsqu’on a le pouvoir on est en mesure de récompenser la médiocrité et décourager l’excellence.

Les individus ont tendance à se conformer à l’image qui leur permet d’être acceptés dans l’univers qui leur donne l’opportunité de satisfaire leurs besoins.

Ceux qui définissent les critères de la « normalité » de la personnalité sont en mesure par le conditionnement de contrôler les comportements, interactions, perceptions d’eux-mêmes et du monde, à réagir à certains stimulus et signaux de façon à ce que leurs résultats servent en définitive, à renforcer le pouvoir économique de la classe qui définit la normalité.

La personnalité est davantage une entité économique et politique plus qu’une entité psychologique individuelle.
 
La recherche de la satisfaction des besoins de notre personnalité, considérée comme une combinaison de valeurs, besoins, désirs, implique nécessairement des activités de consommation.
 
Une personnalité aliénée, aura tendance à poursuivre des valeurs et chercher à satisfaire des besoins et des désirs qui ne sont pas définis par sa culture et va s’engager dans des activités de consommation qui enrichissent les personnes qui nous ont préalablement appris à valoriser ces biens et idéaux.

Nos goûts individuels permettent donc de maintenir un système économique et social, en renforçant le pouvoir de l’élite qui détient les moyens de production

De la même façon qu’hier, le goût des Européens pour le sucre a transformé leur destin ainsi que celui des Africains, transformant les premiers en planteurs, esclavagistes, propriétaires exclusifs des moyens de production, impérialistes et les derniers en, esclaves, colonies appauvries et consommateurs de produits occidentaux. Aujourd’hui, les goûts, désirs et appétits des Africains, largement manipulés par ces derniers, participent au maintien de ces relations de pouvoir.

Ainsi donc, l’identité, même confuse, est une entité économique et politique, une organisation d’intérêts de goûts, d’idées, de désirs, de passions, d’idéaux, de motivations, de valeurs, dont la poursuite et la satisfaction participent à maintenir les relations de pouvoir sociaux, les prérogatives sociales, l’intégrité du système socio politique et économique, le statu quo.

 
Le processus d’asservissement, du peuple africain est toujours en œuvre. C’est par ces renforcements positifs et la corruption légale et acceptable que l’on fait participer les Africains, qu’ils soient dirigeants politiques, cadres compétents, académiciens, à l’exploitation de leurs compatriotes, en faisant d’eux une catégorie de « privilégiés ».

Dans un monde qui ne tolère pas que l’on sorte des rôles prédéfinis, l’Africain « intelligent » est celui qui sait le mieux faire « l’Africain», celui qui sait jouer le jeu, dire que les puissants veulent entendre, ne point défier le statu quo, « être positif », c'est-à-dire, fermer les yeux sur sa condition et celle de son peuple, apprendre à être indifférent au racisme ; en somme abdiquer sa dignité pour recevoir « sa part du gâteau ». Le plus audacieux acte de militantisme de cette catégorie, se limite à dénoncer les dirigeants du continent sans pour autant les combattre activement, attendant qu’un « sauveur » vienne se sacrifier pour qu’ils puissent bénéficier, eux et leurs descendants, d’un peu plus de « liberté de consommation ».

Ainsi pour Wilson, la personnalité « Africaine » est le résultat de siècles de conditionnement eurocentrique.

Il s’agit donc de comprendre que l’esclavage n’était pas seulement un système d’exploitation d’une main d’œuvre pour produire de la richesse et qui est loin dans le passé, mais c’était aussi et surtout l’introduction d’un processus de transformation de la personnalité d’un peuple libre en populations serviles.

Quand vous transformer la position matérielle des individus dans le monde, vous transformez leurs valeurs. La confusion et la perte des valeurs résultent des conditions de vie concrète des gens.

Selon Wilson, si l’on veut comprendre et résoudre un problème persistant, on ne doit pas regarder seulement ceux qui en souffrent mais plutôt ceux qui en profitent.

Les Africains ne sont pas pauvres par hasard, leur pauvreté sert aux intérêts de certains.

En créant la pauvreté chez les gens, en les privant de tout, vous pouvez utiliser leurs services, parce que vous les avez rendus dépendants de vous et vous êtes ainsi en mesure d’utiliser cette dépendance pour créer votre richesse et asseoir votre pouvoir.

Parce que « si l’oppression doit fonctionner à son niveau maximum d’efficacité, elle doit devenir et rester une condition psychologique, réalisant un mouvement d’auto perpétuation par sa propre dynamique interne et sa propre puissance d’entraînement ».

 
Selon Wilson, la domination est un problème social et génère forcément des problèmes sociaux, les dominants sont donc censés profiter des problèmes sociaux des Africains.

Ils investissent financièrement, humainement dans la création et le maintien des symptômes et comportements qui permettent la pérennité de leur domination et partant, de leurs privilèges.

C’est dans cette perspective qu’il faut analyser les conflits « tribaux » ou religieux qui interviennent dans un cadre politique et social déterminé, imposé et servent à maintenir un système de domination et d’exploitation. La domination exerce sur ces sociétés une série de violences souvent occultées, faites d’injustices, de privations, de destructions, générant frustrations et traumatismes.

 
Ce système ayant besoin de mythe pour rationaliser ses crimes, crée l’environnement permettant de rendre le mythe réel, il fabrique les images qui confirment ses vues ou ses désirs.

Pour sortir du cercle infernal de l’oppression, nous devons nous réapproprier notre conscience, notre culture et les considérer comme des instruments de pouvoir pour transformer radicalement notre situation. Retrouver le pouvoir sur notre esprit, sur nous-mêmes, pour passer du statut de « créature » à celui de « créateur ».

Il faut bien entendu commencer par fournir à la conscience des contenus pertinents et utiles, utiliser pleinement nos facultés intellectuelles et poursuivre des buts et objectifs que nous avons définis nous-mêmes. Sans contenus pertinents, nous aurons beau appliquer nos facultés intellectuelles à traiter avec le plus grand sérieux de fausses informations, nous n’aboutirons qu’à de stériles résultats, à de fausses croyances et des souhaits fantasmagoriques.
 
Il faudra donc nécessairement revoir le rôle de l’école, de l’éducation, qui doit avoir pour but d’obtenir la libération, l’indépendance de l’Afrique et des Africains et d’assurer leur survie.

 
Pour Wilson l’éducation est politique. Nous vivons dans le monde sous des conditions différentes et les problèmes sociologiques, psychologiques, économiques des Européens ne sont pas les nôtres.

L’éducation doit fournir un contenu en rapport avec l’histoire, les expériences des Africains, des idées et des opinions qui renforcent notre bien être dans le monde, qui utilise les compétences professionnelles pour nourrir et supporter les familles africaines, pour nous adapter aux changements dans le monde.

 Wilson nous rappelle que des pilotes noirs ne font pas une compagnie aérienne profitant aux noirs, de même que des astronautes noirs ne nous ferons pas gagner la guerre de l’espace. Sans projet collectif nos compétences seront mises au service des intérêts des autres nations.

Tout comme l’éducation, le travail lui aussi, a une dimension politique. Les emplois individuels participent à maintenir des intérêts collectifs dans les rapports sociaux et économiques au niveau national et international. Le monde du travail ne cesse de se transformer, de se restructurer, des emplois naissent et disparaissent en fonction des enjeux géopolitiques, des défis et menaces économiques, pour neutraliser la concurrence, maintenir son hégémonie dans le monde, etc.

D’où, la nécessité de développer des programmes adaptés à nos besoins, en identifiant d’abord les problèmes fondamentaux auxquels nous faisons face et que nous devons résoudre.

Les connaissances et compétences doivent être reliés aux objectifs et aux buts généraux que l’on s’est fixé.

Si les sujets étudiés à l’école sont déconnectés de leur contexte sociopolitique, nous pourrons difficilement nous servir de l’éducation pour atteindre nos objectifs.

Les motivations sont essentielles dans le projet éducatif. Celui qui rentre à l’école avec l’intention de libérer son peuple et de garantir la souveraineté de son pays, en sortira avec une éducation différente de celui qui y est allé avec comme seul objectif de se former pour trouver un emploi.

La simple accumulation de connaissances intellectuelles et de compétences professionnelles ne revêt pas de significations majeures si ces connaissances et compétences ne sont pas orientées vers des buts et objectifs déterminés. Ce sont ces objectifs et ces orientations qui permettent d’organiser, de trier les connaissances pertinentes, de mobiliser ces connaissances et aptitudes vers la réalisation de nos objectifs.

Sans but clairement défini, il sera difficile d’organiser et de mobiliser les capacités intellectuelles des individus. Le savoir est organisé par des buts et intentionnalités, nos objectifs se trouvent là où sont nos valeurs et nos désirs.

Il nous faut donc veiller à ce que les valeurs que nous poursuivons, les désirs et besoins dont nous cherchons la satisfaction soient ceux que nous avons produits, qui sont ancrés dans nos réalités et condition pas ceux déterminés par les autres.

L’éducation ne doit pas se limiter à la simple transmission d’informations, mais doit offrir l’opportunité de conduire des expériences. Nous devons reprendre le contrôle des expériences de transformation de notre environnement.

L’éducation ne doit pas se limiter pas à la profession, elle doit  concerner l’éducation à la culture, à la coopération, à l’amour, à l’environnement, au pouvoir au respect des institutions, bref à tous les aspects de la vie.

 
Les travaux d’Amos Wilson s’ils ne sont pas exempts de critiques, à l’instar de toute réflexion humaine, ont quand même le mérite de susciter la réflexion. De montrer qu’il est possible d’édifier un modèle permettant de développer un programme de recherche qui pourrait produire des résultats pratiques, capables d’améliorer les conditions d’existence des Africains. Son œuvre mérite une attention plus soutenue, car la diversité des opinions et des points de vue permet de voir les problèmes sous différents angles et d’apporter des solutions nouvelles.

Reconnaître notre domination, comprendre ses mécanismes et identifier ses dispositifs, c’est la condition première qui nous permettra de mobiliser notre créativité pour démanteler ce système d’oppression, d’anticiper sur les mutations du monde, de ne pas seulement se contenter de dénoncer les classes dirigeantes africaines complices de ce système, mais de les combattre avec plus d’acharnement. Comme le dit si bien Frederick Douglass :

« Toute l’histoire des progrès de la liberté humaine, démontre que, chacune des concessions qui ont été faites à ses nobles revendications ont été conquises de haute lutte. Là où il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès. Ceux qui professent vouloir la liberté, mais refusent l’activisme sont des gens qui veulent la récolte sans le labour de la terre, la pluie sans le tonnerre et les éclairs : ils voudraient l’océan, mais sans le terrible grondement de toutes ses eaux. Le combat peut être un combat moral ou bien physique, ou les deux à la fois mais il doit demeurer un combat »1.

Le travail de déconstruction de l’oppression est une légitime exigence de l’esprit, car sans un cadre théorique pour penser notre condition, nous continuerons de traiter les questions qui nous concernent séparément : annulation de la dette, la bonne gouvernance, droits de l’homme, égalité des genres, A.P.E., corruption, etc. Nous risquons de passer notre temps à réagir, sans capacité d’impulser des transformations profondes dans nos sociétés en nous impliquant davantage dans la vie politique, intellectuelle et culturelle de nos pays.

Nous continuerons d’attendre les changements majeurs des autres, sans nous engager pleinement à leur réalisation.

Nous avons réclamé mollement le départ des troupes de l’armée française de nos pays, maintenant c’est le bruit des bottes de l’armée américaine qui résonne à leur coté sur continent. La disparition du franc CFA fera t’elle disparaître les rapports économiques et commerciaux asymétriques que nous entretenons avec ? Les secteurs vitaux de nos économies vont t’ils changer de main ? La configuration du secteur bancaire et financier composé essentiellement de filiales de banques étrangères va-t-elle se modifier ? Pouvons-nous attendre ces changements de nos dirigeants, complices de notre oppression? Ces « dirigeants » qui moyennant quelques privilèges servent de boucs émissaires en déchargeant leurs « maîtres » de leurs responsabilités dans l’exploitation du peuple africain. Sans une transformation radicale des rapports sociaux, économiques, culturels et politiques des Africains entre eux-mêmes, aussi bien qu’avec les autres peuples, la disparition de ces institutions et dispositifs oppressifs n’aura aucune signification majeure sur notre condition, ils seront tout simplement remplacés par d’autres.

 N’y a-t-il pas lieu de s’interroger, quand une société, un peuple ayant subi de multiples agressions, continue, sans tirer de leçon de son passé, de fonctionner sans réorienter ses objectifs, réévaluer ses valeurs, ou chercher à «produire » des individus et des institutions capables de défendre ses valeurs, quand celles-ci sont menacées ?

C’est par les contraintes extérieures, les différentes formes de contraintes économiques et physiques qui s’exercent sur le peuple africain, combinées aux mécanismes d’autocontrôle parmi lesquels la culture, l’école, le contrôle de l’information et les différentes formes de violences, que l’on a imposé la servilité aux Africains.

C’est ainsi que les dominés sont poussés à ajuster leurs conduites et comportements, et finissent par accorder leurs rêves et ambitions à la place qui leur est injustement assignée par leurs oppresseurs, la considérant comme étant celle qui leur sied dans le monde. Nous participons ainsi nous-mêmes, à la légitimation de notre oppression, la considérant comme relevant de l’ordre naturel des choses, tissant de nos propres mains, les mailles des filets qui vont enserrer nos corps et nos esprits dans la plus basse servitude.

Il faut reconnaître qu’aucune puissance ne saurait soumettre notre volonté sans notre assentiment, c’est en ajustant nos comportements à la volonté de nos oppresseurs, en adoptant leurs valeurs, fonctionnant selon leurs principes, et travaillant pour leurs intérêts, que se maintient notre asservissement.

Si accepter la domination, c’est s’installer dans le statu quo en nous conformant servilement à la volonté du «maître», la condition préalable à tout changement en Afrique passe par la modification de nos comportements contre la volonté de nos oppresseurs.

Tant que les Européens concentreront entre leurs mains les produits dont ils ont suscité en nous les désirs, nous nous appauvrirons pour les acquérir. Et tant que les Africains accepteront de vivre sous ce système qui leur impose la dépendance, à l’image du rat de la boite de Skinner, obligé de se mettre sur ses deux pattes pour être nourri, ils seront obligés de passer leur existence à genoux dans la servitude.

Il est tant pour les Africains de reprendre leur destin en main et surtout de refuser le système d’assistanat imposé qui est une forme de "destruction douce". Car même si la domination occidentale cessait, nous risquerions de tomber sous le joug d’autres peuples.
 

Nous devons répondre à l’appel d’A. Wilson qui nous exhorte à ne pas être obsédé par la destruction de notre civilisation, par la cruauté du sort subi, mais d’observer les erreurs de ces civilisations passées, d’intégrer ces erreurs à notre personnalité, d’aller de l'avant pour bâtir de nouvelles civilisations, de nouveaux mondes, sans se lamenter sur le passé, de respecter l’héritage de nos ancêtres mais d’être également concernés par l’héritage que nous devons léguer à nos descendants.


Sidya Diop


Notes
1 Frederick Douglass, West India Emancipation Speech, mai 1857


Bibliographie


Wilson, A.N. (1993). Falsification of Afrikan consciousness: Eurocentric history, psychiatry and the politics of white supremacy. Brooklyn, NY :
Ed. : Afrikan World Info Systems

Wilson, A.N, Afrikan-Centered Consciousness Versus The New World Order : Garveyism in the Age of Globalism
By Dr. Amos N. Wilson (1999)
(Excerpt : From a lecture delivered by Amos N. Wilson at the Marcus Garvey Senior Citizen Center, Brooklyn, NY in 1985 ; Transcribed by Sababu.N. Plata)

Wilson, A.N, Blueprint for Black Power : A Moral, Political, and Economic Imperative for the Twenty-First Century
Ed : Afrikan World Infosystems (mai 1998)

Wilson, A.N, “The Sociopolitical context of Education”, in Awakening the Natural Genius of Black Children,
2nd Edition, New York: Afrikan World InfoSystems, (1992)

Wilson, A.N. (1991). Awakening the natural genius in Black children. Brooklyn, NY : Afrikan World Info Systems

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Dernière publication : 16/04/2024