Sénégal, maintenir vivace la flamme de la résistance contre la domination néocoloniale
(partie 2)
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La population sénégalaise dans sa majorité, exténuée par les longues et multiples privations, la misère, l’exploitation, les affronts et les abus, ressent le pressant besoin d’un changement radical de sa condition. Mais les conditions sont-elles pour autant réunies pour une révolution au Sénégal ?
Sommes-nous prêts à sortir de ce conformisme paralysant toute innovation sociale, remettre en question les idées reçues ainsi que les pratiques sociales qui contribuent à maintenir le statu quo néo colonial ?
La révolution n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire de l’humanité, beaucoup de sociétés ont subi des transformations profondes selon des modalités différentes ; elle ne consiste pas non plus, en un déferlement de violence conduisant en un changement de régime civil ou militaire.
Elle est fondamentalement un projet de transformation durable de l’ordre social et politique d’une société, visant à remplacer les anciennes relations d’oppression et d’exploitation par de nouvelles relations fondées sur plus d’égalité et de justice sociale.
L’objectif ultime étant de créer les conditions matérielles qui permettent la préservation de la dignité des populations ainsi que leur élévation spirituelle.
Ce projet passe par une transformation de la conscience des individus de cette société, la mobilisation et la cristallisation de l’engagement d’individus qui mettent l’intérêt collectif au-dessus de celui personnel.
Elle exige une constante remise en question personnelle, un travail de réflexion sur notre société, sur le sens que l’on assigne à son existence, notre rapport à nous-même, à la terre et aux vivants, elle est une entreprise aussi bien politique qu’intellectuelle.
La jeunesse sénégalaise, tout comme celle africaine, a le potentiel de conduire ce combat pour la transformation radicale de nos sociétés à condition d’être suffisamment armée idéologiquement, politiquement et socialement organisée.
Il va falloir nous débarrasser de nos incohérences, en nous engageant dans un processus de réflexion critique sur les conditions historiques à l’origine des clivages de notre société actuelle, afin d’en mieux comprendre les dynamiques sociales en œuvre, et d’en saisir les véritables enjeux.
Qu’est-ce réellement le système ? Quels en sont les mécanismes et dispositifs matériels et idéologiques ? Quelles sont les forces endogènes dont les intérêts coïncident avec ceux des forces impérialistes qui profitent du système d’asservissement de nos peuples ?
On ne saurait amener le combat à un niveau supérieur dans l’ignorance du système, en flirtant avec ses soutiens les plus fidèles parmi les catégories économiques, bureaucratiques, les autorités traditionnelles ou religieuses de nos pays ?
Il est important de comprendre l’histoire de la résistance dans toute sa complexité, les jeux d’alliance et de défiance des différents rois face aux rivalités coloniales de l’époque, les mouvements de contestations des populations, si nous voulons surmonter les obstacles qui nous empêchent de sortir de notre condition qui dure depuis des siècles.
Qu’est-ce qui explique la persistance de la domination coloniale qui, depuis des décennies, ne rencontre que de sporadiques mouvements de révoltes, que l’on assimile souvent à tort à des révolutions ?
Il faut admettre que c’est avec beaucoup de légèreté que nous avons accepté l’idée que « l’indépendance » du Sénégal, comme, d’ailleurs celle de beaucoup de pays africains, était l’aboutissement d’une lutte soutenue des populations africaines. Alors que la décolonisation résultait plus d’une stratégie des pays colonisateurs de s’adapter aux nouveaux changements sur la scène politique internationale.
Épuisés par les guerres impérialistes et, devant l’émergence de nouveaux acteurs, Il s’agissait de changer le mode d’administration de leurs colonies en les « associant » à leur empire, en leur accordant une certaine autonomie afin de continuer d’en tirer le meilleur parti possible ; gardant ainsi le contrôle de nos Etats, à travers de subtils mécanismes et dispositifs inclus dans les traités et accords de coopération économiques et militaires et autres programmes de développement.
Aucune indépendance n’est « accordée » par une puissance occupante, elle lui est arrachée. Il serait un peu exagéré de considérer que les différents mouvements de protestions et grèves, auraient suffis pour rompre les liens de domination coloniale.
Surtout lorsque les considérations ayant conduit à l’entreprise coloniale, à savoir, le besoin d’approvisionnement en matières premières pour l’industrie occidentale, la recherche de débouchés pour leurs produits manufacturés et de profitables secteurs d’investissement pour leurs excédents de capitaux demeuraient et demeurent toujours d’actualité.
Dans nos sociétés, contrairement aux nouveaux « pays émergeants » qui contestent l’hégémonie occidentale de nos jours, tels que, la Chine, l’Inde, l’Iran, la Turquie, qui, en fait, sont d’anciens empires ayant gardés vivace dans leur mémoire aussi bien leur passé de grandeur que la période d’humiliation que fut leur colonisation, cette période est quasi absente dans ses formes et modalités de notre système éducatif et de notre récit national. La majorité de nos populations ne pouvant accéder à cet épisode de leur passé ont été plongées dans une sorte d’amnésie collective.
Privés de segments importants de notre histoire et, par conséquent, d’expériences importantes participant à notre construction historique, nous nous trouvons dans une situation, si bien décrite par Amos Wilson, où l’individu ou le groupe arrive, parce qu’il n’y a plus accès, à perdre des compétences sociales, intellectuelles, techniques associées à cette histoire qui pourraient lui servir à résoudre ses problèmes actuels.
L’histoire n’est pas un récit que l’on raconte ou que l’on se raconte pour flatter nos egos. L’histoire se vit à travers nos choix et décisions actuelles, nos possibilités et nos limitations, nos rêves et aspirations présentes. C’est par la connaissance du passé que l’on peut s’orienter dans le présent, discerner les schémas oppressifs qui nous étouffent et trouver la force d’y résister.
C’est parce qu’on connait peu de choses sur l’esclavage, à part de superficielles informations factuelles isolées qui ne nous permettent pas de comprendre le système dans sa globalité, que l’on peine à voir la continuité de notre asservissement sous sa forme actuelle.
La farouche opposition à la pénétration coloniale, contenue en raison de l’inégalité des rapports de forces militaires, a été suivie par la pacification, processus de répression de toute velléité d’opposition à l’entreprise coloniale et l’obtention de la soumission des populations par des moyens « humanitaires ». Elle se traduit par une collaboration économique, financière, fiscale et militaire, aussi bien des autorités politiques que religieuses : l’église catholique, alliée historique du colonisateur, les religions dites traditionnelles et musulmanes.
S’il a existé des formes de résistance culturelle de la part de certaines communautés qui s’est traduite par le refus de s’acquitter de l’impôt colonial et de la dissuasion de leurs membres de servir dans la nouvelle administration, de la remise en question d’anciens traités portant sur les questions foncières entre autres, jugés injustes, elle a été peu présente dans la mémoire collective contrairement à celle que l’on qualifie de « pacifique », et qui consisterait en la substitution de la résistance armée par la « formation des hommes » suscite plusieurs interrogations.
D’abord, l’islam qui était présent depuis des siècles dans la sous-région, tout autant que les religions dites païennes qu’il a trouvé sur place, disposaient d’institutions où étaient formés les individus.
Ensuite, une résistance aussi pacifique qu’elle puisse être, demeure une résistance, c’est-à-dire un acte de défiance envers l’autorité dont on conteste la légitimité et l’absence de collaboration, à l’instar du mouvement initié par Mahatma Ghandhi en Inde, et du révérend Martin Luther King aux Etats-Unis.
A l’opposé, les faits font état d’une véritable collaboration économique et financière, dans l’entreprise de colonisation agricole, par l’introduction de l’arachide, culture de rente et élément clé de l’économie de traite, dont les revenus tirés de la commercialisation facilitèrent le paiement de l’impôt de capitation, et militaire, par la fourniture de combattants pour soutenir l’armée française.
Ce dernier aspect suscite une interrogation sur la conception même du pacifisme de certains leaders religieux de l’époque.
Comment expliquer l’adoption d’une posture pacifique au niveau local et le soutien de la guerre au niveau international par l’envoi de troupes pour défendre la France contre l’Allemagne qui la colonisait, dans un conflit qui de surcroit allait consacrer le démantèlement de l’empire Ottoman, dernier califat musulman ?
Le leadership religieux de l’époque était-il bien au fait des enjeux géostratégiques des conflits de cette période de l’histoire, qui étaient principalement motivés par les rivalités impérialistes dans un contexte de crise économique globale et d’émergence du fascisme ?
Est-il plus éclairé sur ces questions de nos jours ?
Concernant l’entreprise de « formation des hommes », ne sommes-nous pas en droit de nous interroger sur son impact dans une société qui ne cesse d’être minée par la corruption, la gabegie notoire dans tous les domaines, où la domination néocoloniale n’a fait que renforcer son emprise ? La bataille idéologique, qui devait inscrire la résistance culturelle dans la durée, a été apparemment perdue.
Ces questions doivent être abordées avec objectivité, en toute sérénité, sans verser dans un stérile manichéisme, l’esprit partisan, en perdant tout sens de la nuance.
Pouvons-nous nous contenter de pointer du doigt la responsabilité de nos dirigeants, lorsque la majorité de nos technocrates et experts sont, comme nos dirigeants, de simples rouages des organisations internationales ?
Que nos soldats continuent de servir de chair à canon dans les missions de « maintien de la paix » des Nations Unies ?
Combien sommes-nous à travailler à la réalisation de programmes et projets qui contribuent à paralyser notre économie, collectant pour des institutions étrangères des informations relevant de l’intelligence économique ; facilitant les politiques s’inscrivant dans la continuité de la logique coloniale de dépendance et d’exploitation de nos sociétés, étouffant nos agriculteurs et nos éleveurs et toutes les forces économiques endogènes.
Nous ne saurions combattre le système sans prendre en considération la structure globale de ce système oppressif qui demeure intact malgré les alternances, parce qu’il ne fonctionne qu’avec la complicité volontaire ou inconsciente des forces de la nation.
Les clivages au sein d’un peuple sont la règle, il n’existe aucun pays au monde qui ne connaisse des dissensions internes.
Les agents locaux de l’impérialisme sont à neutraliser, dans presque tous les pays du monde ; les élites au pouvoir, par la mise en place de mécanismes aussi bien formels qu’informels, pour mettre hors d’état de nuire et/ou contenir dans des limites acceptables, les groupes censés constituer une menace pour leurs intérêts et valeurs, à l’ordre social dominant.
C’est ainsi que l’on peut constater qu’aux Etats-Unis, pays considéré par les plus crédules comme la « plus grande démocratie du monde », le pays de la « liberté d’expression », deux partis monopolisent le jeu politique, toutes les autres sensibilités politiques prônant des alternatives à l’ordre capitaliste sont exclues du débat public.
La propagande occidentale nous pousse à considérer comme démocratique, les Etats-Unis, le centre névralgique de l’impérialisme occidental, dont les victimes de ses agressions à travers le monde se comptent par millions. Un pays qui exerce sa souveraineté sur un territoire occupé, où il maintient dans des réserves les populations autochtones. Un pays qui n’a officialisé l’abolition des lois ségrégationnistes qu’à la fin des années 1960 et continue de traiter comme des citoyens de seconde zone les descendants d’africains déportés qui l’ont aidé à mettre en valeur ces terres confisquées.
On pourrait dire autant de la France qui non seulement continue ses interventions coloniales en Afrique, à Mayotte, Nouvelle Calédonie, n’a accordé aucun respect à la volonté du peuple français lorsque celui-ci s’est prononcé au sujet du référendum portant sur le traité établissant une constitution pour l’Europe ; mais a réprimé le mouvement des gilets jaunes avec une violence digne des plus grands dictateurs.
Dans ces pays dits démocratiques, qui en réalité demeurent des oligarchies, les libertés individuelles s’effacent devant la toute-puissance du secteur privé, à travers les institutions financières et grands capitaines d’industrie, patrons qui contrôlent tous les aspects de la vie des individus de la naissance au tombeau.
Et pourtant, nous sommes beaucoup plus soucieux de préserver notre statut « d’exception démocratique » aux yeux de pays que nous prenons pour des modèles, qui ne cessent de violer les principes qu’ils prétendent incarner, que de nous débarrasser de leur domination.
Quels sont parmi les « principes » fondamentaux de la démocratie, dont l’Occident s’arroge la « propriété intellectuelle », ceux qui nous seraient étrangers ?
Avons-nous vraiment besoin, nous, Africains d’aller chercher dans les lointaines traditions des autres peuples le sens du dialogue consensuel autour de l’intérêt commun ?
Peut-il y avoir démocratie sous la tutelle étrangère ?
C’est au contraire dans le combat pour nous libérer de la domination impérialiste que se construit la démocratie véritable.
Quel est l’intérêt d’avoir une longue « tradition démocratique » qui ne nous épargne pas des effusions de sang à presque chaque alternance ?
Les Sénégalais, tout comme les Africains en général, ne peuvent pas faire l’économie d’une lutte contre les forces endogènes dans nos pays qui, depuis des siècles, collaborent avec des puissances étrangères et menacent la stabilité de nos sociétés, sous le prétexte qu’elles seraient de la même appartenance, ethnique, raciale ou nationale. Les liens de parenté qui sont incapables de garantir l’unité familiale ne sauraient suffire à garantir la cohésion nationale.
Ceux qui, ces dernières années, pour défendre leurs privilèges personnels et les intérêts de leurs maîtres, n’ont pas hésité à attenter à la vie, torturer, emprisonner, dépouiller de leurs biens leurs propres frères et sœurs, n’étaient pas des étrangers venus d’ailleurs, mais bel et bien des membres de la « même famille ».
Les racines du système sont profondément ancrées dans le corps social à travers nos idéologies, si bien que l’on peut voir les individus ou groupes, hommes politiques, bureaucrates, classes d’affaires, hommes religieux, organisations syndicales, se comporter comme des parasites de l’Etat et de leur société, les vidant de tout ce qui pourrait constituer leur force.
Les membres de ces organisations, éléments importants du système, qui bien qu’ayant des références socio-culturelles différentes peuvent être regroupés en deux principaux pôles : l’un détenteur du savoir scolaire « profane », l’autre du savoir « magico-religieux », utilisent leurs « connaissances » pour exploiter les masses pour leur propre profit et celui des forces impérialistes étrangères.
Parce qu’en plus du personnel politique, bureaucratique, académique entre autres corps et institutions modernes, le pouvoir colonial a su utiliser, les autorités traditionnelles et religieuses qui jouissaient de la confiance des masses, afin d’ôter toute charge révolutionnaire au nationalisme africain, en réduisant la culture en un simple artifice folklorique et dévoyant la religion, afin qu’elles ne deviennent pas de puissantes forces subversives qui pourraient se retourner contre lui.
« La trahison » des intérêts de nos peuples, qu’elle soit consciente ou non ; s’effectue avec le concours d’une catégorie socio-professionnelle composée principalement de technocrates et experts, qui bien qu’instruite, demeure politiquement et idéologiquement « illettrée ».
L’intelligence ne saurait consister en la simple maitrise de langues étrangères, des dispositions législatives et règles méthodologiques d’intervention sociales conçues par les membres d’autres nations, dans le but de transformer nos comportements et nos sociétés selon leurs desseins.
La compétence professionnelle ne saurait justifier la corruption, le mensonge, l’abus des deniers publics et la trahison des intérêts fondamentaux de la nation.
Cette classe est incapable de comprendre son rôle au sein de la structure du pouvoir impérialiste global et du projet d’asservissement collectif de leur propre communauté, et considère les populations qu’elle vampirise, avec le même mépris que ses donneurs de mission.
Il s’agit d’un leadership qui, ayant perdu la bataille idéologique, a renoncé à reprendre l’initiative historique, a fait sien les « valeurs » occidentales, a embrassé à bras ouverts le capitalisme néo libéral qui, sous nos cieux, trouve son expression le plus sauvage.
Cette classe qui, n’étant porteuse d’aucun projet de transformation positive de la société, consacre d’importantes ressources financières non pas dans la formation dès l’enfance, de personnalités qui pourront faire face aux défis de leur époque, mais dans la construction d’édifices et d’infrastructures prestigieux.
Sacrifiant ainsi l’avenir des générations futures, entrainant la stagnation économique et technologique, la dégradation du système éducatif, la fragilisation de la famille qui pousse, entre autres facteurs, une jeunesse laissée à elle-même, minée par le chômage, l’oisiveté vers la drogue, la délinquance et l’exil.
Toutefois, les rôles des organisations et institutions ci-dessus évoquées ne sont pas figés, comme le montrent leurs différentes postures dans l’histoire de notre pays, pouvant passer de la contestation à la collaboration. Elles sont traversées par des clivages idéologiques, leurs membres peuvent poursuivre des intérêts et des agendas divergents.
Parmi ces organisations, les confréries religieuses demeurent les plus dynamiques forces de transformation sociale, de par leur capacité de mobilisation et d’organisation. Parce qu’au bout du compte, la religion ne s’adresse pas à une âme désincarnée, dépourvue de besoins matériels à satisfaire.
Il est possible de leur donner une orientation révolutionnaire, à condition qu’elles renouent avec leur vocation fondamentale de former l’individu et de reformer la société, c’est dire beaucoup plus au service du développement communautaire et de l’élévation de l’humanité des individus en les libérant de la servitude des hommes.
Nous ne pouvons pas sortir de cette condition en laissant prospérer cette catégorie d’hommes et de femmes qui, depuis des siècles, vivent de la collaboration avec les forces qui minent la stabilité nationale, pillent les ressources et réduisent nos chances de survie en tant que nation.
L’unité d’un pays ne se construit pas en ignorant les antagonismes internes entre les individus et groupes, encore moins dans la compromission avec les valeurs et principes fondamentaux d’une société, de respect des droits et libertés individuels et de justice sociale.
A quoi sert-il de libérer les individus de l’oppression impérialiste si c’est pour les garder à la merci de l’asservissement mental et économique au niveau national ?
Depuis la « démocratisation de la pacification », c’est-à-dire l’acceptation de la servitude qu’implique la domination néocoloniale, nous assistons à un processus de paupérisation économique, social et culturel, et parce que n’ayant pas su garder vivace la flamme de la résistance, nous continuons sur le continent comme à l’extérieur, de mener les mêmes combats que les siècles passés.
Si, comme disent certains, les peuples ont besoin de mythes, nous pensons qu’ils ont surtout beaucoup plus besoin de solides socles de références sur lesquelles asseoir leurs rêves de liberté et de justice. Il nous faudra affronter avec le plus grand courage nos propres incohérences.
Notre récit national devrait s’appuyer sur une étude critique et objective de notre passé, si nous ne voulons pas continuer de céder aux chants des sirènes d’un nationalisme dépourvu de tout véritable projet transformateur de notre société, nous contentant de rugir tel un lion édenté qui ne fait peur à personne.
S’il est vrai que « seule la lutte libère », c’est à condition qu’elle soit ancrée dans la quête permanente de la vérité pour établir la justice.
Il ne saurait y avoir aucune sincère aspiration à la justice sans une soif de vérité, qu’importent les sensibilités qu’elle pourrait heurter.
Toute quête de Justice requiert un travail critique pour la compréhension de notre société, notre histoire, mais aussi celui de notre univers « intérieur ».
Il ne suffit pas seulement de parler nos langues nationales, et s’habiller selon la tradition pour échapper à la domination impérialiste. N’est-ce pas ce que nous faisions déjà avant l’arrivée des colonisateurs ?
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un nationalisme qui se contente de faire de la culture un refuge et non à un instrument de libération.
Il s’agit d’affirmer notre humanité en produisant non seulement des biens pour la satisfaction de nos besoins, mais aussi et surtout, du sens, afin de donner des perspectives nouvelles aux générations futures.
Bâtir une nation c’est d’abord construire des hommes debout, quelles que soient l’âpreté des circonstances ou la rigueur de l’adversité. Des personnalités qui ne reculent pas devant l’immensité des défis, ne cèdent pas à la paresse et au fatalisme, ne s’agenouillent pas devant les injustes oppresseurs aussi puissants qu’ils puissent être, pour écraser plus faibles qu’eux.
Le refus de la domination devrait habiter les populations dans leur grande majorité. C’est cette idéologie qui en se transmettant, de génération en génération, permet d’inscrire dans la durée le combat contre la domination chez les peuples jaloux de leur liberté.