Dire Non à la Servitude
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L’ordre impérialiste dominant a grand intérêt à produire un discours dont l’objectif principal est de cacher la violence qui le soutient, ainsi que ses ravages sur la vie des populations dont il ne  présente que le côté sombre.

Ne sommes-nous pas tous familiers de ces narrations médiatiques (interviews d’écrivains, documentaires, films), dont la trame fait de n’importe quelle expérience, vécue au sein d’un « foyer Africain », comme étant « une expérience africaine » ? C’est comme ça que ça se passe en Afrique », entendra-t-on souvent de la bouche du narrateur qui, très probablement, n’aura que très peu voyagé à l’intérieur du continent. Ces narrations qui ridiculisent et infantilisent les populations africaines visent à mettre à mal notre fierté dans notre identité collective.

Elles véhiculent, de façon ouverte, les valeurs dominantes qui nous maintiennent dans la sujétion, influencent, valident les positions et postures politiques « correctes », les modalités d’opposition et de résistances appropriées. En un mot, elles servent l’agenda impérialiste dans sa volonté de maintenir le statu quo.

Ces procédés relèvent d’une stratégie de guerre médiatique, d’un système qui cherche à convaincre un public, souvent « volontairement » candide, vivant aussi bien en son « centre » que dans sa « périphérie », que les agressions coloniales relèvent du passé, que les guerres qu’il voit se dérouler sous yeux seraient des interventions humanitaires.

Dans cette guerre médiatique, le contrôle des discours est d’une grande nécessité.

C’est la raison pour laquelle des « voix » africaines sont utilisées pour relayer ces discours aux relents fortement racistes afin de leur donner un semblant de légitimité.

Ces « voix » sont visiblement plus choquées par les comportements des « pauvres » que par les crimes, atrocités, pillages qui affectent ces derniers et qui sont commis par les « grands de ce monde ». Elles ont pour fonction, de débarrasser les pays impérialistes de toute responsabilité, de tout sentiment de culpabilité dans leurs politiques de déstabilisations économiques socialement destructrices.

Ces intellectuels africains parmi les plus médiatisés jouent un rôle crucial dans l’environnement discursif dans lequel sont élevées des générations successives d’Africains, surtout depuis la période des pseudo-indépendances, celle « l’enchantement » qui nous a installés dans la torpeur.

Ils sont très prompts à pointer la responsabilité des Africains dans leur propre asservissement, en évoquant les complicités internes. La faiblesse de cette position parait dès qu’on essaie de l’appliquer aux expériences historiques des autres groupes sociaux.

Existe-t-il des pays, des peuples sans tensions internes ? Cette Europe, qui nous a colonisé, a elle-même, dans le passé, asservi plus de la majorité de sa population et a été secoué par des conflits internes, mérite-t-elle d’être asservie pour cela ?

Des « Amérindiens » ont signé des traités et combattu aux côtés des envahisseurs Européens, parle-t-on de ces peuples comme s’ils étaient responsables de leur génocide ?

Des Juifs n’ont-ils pas collaboré avec les nazis, tout comme bon nombre de populations de pays européens, insiste-t-on sur cet aspect quand on évoque cette tragédie afin de « rétablir la vérité historique » ; parle–t-on de leur responsabilité ?

D’ailleurs, le souci d’objectivité ne devrait-il pas pousser à questionner la responsabilité des peuples qui revendiquent leur héritage culturel et leurs réalisations sans pour autant assumer les crimes et atrocités qui y sont attachés.

Tous les peuples et toutes les races recèlent de traitres en leur sein, cela ne saurait justifier en aucune manière les atrocités commises par les envahisseurs à leur endroit.

Les « citoyens libres » des démocraties occidentales, qui votent depuis des décennies pour des dirigeants qui massacrent, pillent les ressources du continent africain, n’ont-ils aucune responsabilité dans la politique impérialiste de leur pays ? Accusent-ils leurs dirigeants de la même façon qu’ils pointent du doigt la responsabilité des dirigeants africains dans le naufrage du continent ? La cessation des rapports de domination figure-t-elle dans leur liste de préoccupations lorsque qu’ils vont voter ?

Pourquoi n’insiste-t-on que sur la « responsabilité » des « Africains » comme si ces derniers n’avaient opposé aucune résistance face aux envahisseurs ?

Ceux qui tiennent cet argumentaire révèlent une absence de rigueur qui est loin d’être à la hauteur de leurs prétentions.


C’est en effet manquer de rigueur que de reprendre naïvement le discours des oppresseurs, en mettant sur le même pied d’égalité coupables, complices, collaborateurs et victimes. C’est un peu comme si on les considérait comme excusables et fréquentables parce qu’ils auraient bénéficié de complicité intérieure lors de leurs méfaits. Que l’on peut même attendre d’eux des conseils en matière de justice, en dénonçant avec plus d’ardeur, la négligence de ceux qui se sont « laissés » dépouiller.

Naviguer les yeux fermés dans les eaux troubles des relations internationales, est une façon bien commode de se soustraire à l’effort d’identifier clairement qui sont nos ennemis et de cacher ainsi notre collaboration avec eux.


Ces analyses simplistes, réductrices et biaisées ne s’appliquent apparemment pas aux Européens qui bénéficient de toutes les excuses du monde, contrairement aux Africains, qui eux, « sont tous pareils ». Les abus et dérives dont certains membres de leur communauté sont les auteurs, n’affectent point leur groupe dans sa totalité. C’est parce qu’il y a « certains d’entre-deux qui sont malveillants ».

Et paradoxalement, les guerres intestines qui les ont opposées pendant des siècles dans le passé, ainsi que les différentes revendications séparatistes, identitaires et nationalistes contemporaines (Bretons, Corses, Catalans, Irlandais du nord, Brexit) qui les secouent, ne sont pas dues « à leur incapacité à s’unir ».

Cet argumentaire exprime un manque notoire de respect à l’égard des Africains.

Se permettraient-ils d’exhorter les femmes victimes de sexisme et de misogynie, de cesser de « jouer les victimes» et de prendre comme exemple celles qui ont su intégrer le système machiste et patriarcal dominant, si elles veulent être traitées avec plus de respect.

Dans cette même logique, les travailleurs ne devraient-ils pas, eux aussi, arrêter de se plaindre de leur exploitation, parce qu’ils seraient individuellement libres de quitter leur emploi et de devenir entrepreneurs à leur tour et peut-être exploiter d’autres travailleurs à leur tour ?

Ces discours veulent faire reposer sur les individus, les néfastes conséquences d’un inique système d’oppression et d’exploitation. Ils veulent attribuer aux populations souffrant des inégalités sociales essentiellement liées à l’injustice du système, en les présentant comme étant les conséquences de leurs carences individuelles.

Parce que le discours joue un rôle essentiel dans la perception et la construction sociale de la réalité, à travers le sens et l’interprétation que nous donnons aux évènements et à nos expériences historiques, il peut déterminer nos réponses, réactions face au présent et influencer les orientations de notre avenir.

De par ce rôle crucial dans la perception de soi, dans nos constructions identitaires, la conscience de notre condition collective, il détermine nos allégeances idéologiques ainsi que nos actions politiques.

L’analyse de ces discours révèle l’allégeance de leurs tenants à l’ordre dominant qui maintient leur propre peuple, ainsi que plus de la moitié de l’humanité dans d’abjectes conditions de souffrances.

Ils sont contre toute aspiration à l’auto détermination des Africains. C’est ainsi que leur argument face aux discours nationalistes, patriotiques ou panafricanistes, consiste à dire qu’aucun peuple ne saurait « vivre en autarcie ». Comme si servir et protéger les intérêts de son peuple, signifiait se couper du reste du monde. Les pays qui défendent leurs intérêts, en agressant, quand ils le jugent nécessaire, des pays situés à des milliers de kilomètres d’eux, ceux dont les entreprises étendent leurs tentacules partout dans le monde vivraient-ils en autarcie ? Les Chinois et les Indiens qui cherchent à s’émanciper de la domination occidentale vivent-ils en autarcie ? Les autres peuples pensent-ils à nous, quand ils discutent de leurs problèmes nationaux et définissent leurs priorités politiques ?

Notre « ouverture » au monde, nous, Africains, devrait-elle consister à faire de nous les serviteurs des autres peuples ? Sommes-nous condamnés à consommer les produits et services des autres peuples, et attendre à ce qu’ils partagent généreusement les fruits de leurs réalisations et conquêtes ?

Ne devrions-nous pas plutôt mettre nos talents, compétences et connaissances au service du progrès du continent africain et de l’amélioration des conditions de vie des populations africaines, afin d’alléger leurs souffrances et renforcer leur autonomie ?

Certains parmi ces défenseurs du statu quo, considèrent même que les « Occidentaux ont le droit de défendre leurs intérêts » ; même au prix des vies humaines ? Parce que c’est essentiellement ainsi que se maintient la domination. Pourraient-ils défendre les mêmes positions si les Africains décidaient d’appliquer la réciprocité aux Occidentaux ?

Il est aisé de constater à travers leurs différentes positions que ces esprits dont l’ouverture d’esprit et la tolérance sont souvent saluées par leurs « maîtres », font preuve d’un pacifisme sélectif.

Ces individus « figures symboliques »1 mis en avant alors que les rares voix s’élevant contre le système néocolonial sont muselées, étouffées, font que les différents discours sur le continent africain, tenus par les académiciens africains eux-mêmes, se présentent dans l’ensemble comme des discours de connivence, de conformisme à l’ordre établi. Des discours dans lesquels les analyses semblent être plus prémâchées que véritablement pensées, et apparaissent, à l’instar de nos actions comme autant de mécanismes de défense face à la domination dont nous sommes victimes.2

Leurs comportements peuvent être compris comme des signes d’allégeance qui servent à ne pas trop incommoder les oppresseurs, afin d’« acheter leur sécurité ».

Ces intellectuels dans le milieu académique et sa périphérie (écrivains, essayistes et romanciers), jouent le même rôle que la classe politique et économique dans leur complicité avec le système néocolonial et l’exploitation de leur peuple.


Leurs différents parcours individuels que l’on nous présente comme le modèle de réussite, sont censés d’une part, constituer la preuve de l’inexistence de l’oppression des Africains en tant que groupe, et d’autre part, illustrer la « générosité et l’ouverture » de l’Occident dans sa « capacité » à « intégrer », certains des éléments les « plus évolués parmi les « primitifs » au sein de son projet global de domination impérialiste. N’est-ce pas une subtile manière de pousser un peuple opprimé à trouver la fierté dans son propre asservissement ?

Cette catégorie n’a aucune autorité à s’ériger en donneurs de leçons, ni servir de modèle de réussite pour une jeunesse et pour un peuple jaloux de sa dignité.

Leurs discours visent à occulter les relations de domination néocoloniale qu’entretiennent les pays occidentaux avec nos pays. Ils ont grandement contribué à faire presque disparaitre de notre vocabulaire, les termes d’impérialisme, de domination, d’exploitation et d’oppression lorsqu’il s’agit d’analyser la condition des Africains. Celle d’un peuple fort de plus d’un milliard d’âmes, ayant un statut de « minorité », qui ne serait victime que de racisme hors du continent ou de mal gouvernance sur le continent.

Les nombreuses contraintes et préjudices matériels que subissent les Africains, à savoir entre autres : la réduction de leur accès aux ressources matérielles, aux emplois, aux soins de santé, au contrôle leur espace territorial, la restriction de leur mobilité dans le monde auxquelles viennent s’ajouter, les agressions d’ordre psychologiques et émotionnelles, criminalisation, représentation négative du groupe, stress et humiliations diverses, caractérisent la condition d’un groupe opprimé.


Le peuple Africain est un peuple opprimé par excellence et tout l’environnement discursif sur le continent vise à nous faire nier cette réalité, à enténébrer notre conscience.

L’oppression est une injustice sociale qui est perpétrée à travers des institutions, des pratiques et des normes sociales sur des groupes sociaux par d’autres groupes sociaux. C’est ce caractère institutionnel qui lui permet de se reproduire et de s’inscrire dans la durée, c’est dire qu’elle ne nous affecte ainsi qu'en tant que membre d'un groupe. Les caisses de résonnance africaines, du discours dominant n’échappent pas à cette condition.

Parce qu’au sein des groupes dominés, comme nous Africains, l’asservissement affecte toutes les catégories sociales, que l’on porte autour du « cou » ou aux «  pieds », des cordes d’or, d’argent, de fer, ou de fibres, notre vulnérabilité face à l’asservissement et l’humiliation de la part des dominants demeure la même. De la même manière qu’hier ceux qui fournissaient des esclaves pouvaient, eux-mêmes, être déportés, asservis, ceux qui, aujourd’hui, trahissent les intérêts de leurs peuples contre certains privilèges sont dans la même condition de vulnérabilité. Ils peuvent être destitués, s’ils étaient au pouvoir, ruinés en un clin d’œil, s’ils étaient milliardaires, relégués aux oubliettes, leur réputation salie s’il s’agit de célébrités, parce que nous ne contrôlons aucun levier de ces pouvoirs qui fabriquent ces « personnages ».

Leur « liberté individuelle » ne leur permet pourtant pas de s’affranchir « des frontières » de leur identité ethnico raciale, car on ne leur donne la parole que pour se prononcer sur les faits qui concernent leur groupe d’appartenance, la condition de leur peuple


La pleine conscience de ce fait, constitue la première étape de notre libération de l’asservissement mental qui nous maintient dans la servitude volontaire.

Nous sommes loin de récuser notre part de responsabilité dans la relative  longévité de notre domination, pour ne pas avoir continué de la combattre avec ardeur et persévérance pour nous débarrasser des chaînes de l’esclavage.

 
Le combat pour la libération comporte une dimension externe qui s’impose à nous sous forme de pauvreté persistante, brutalités, exploitation de nos ressources et de notre labeur. Ces forces externes proviennent de l’impérialisme, domination occidentale, capitalisme. Ces forces doivent être identifiées et combattues.

Adresser la dimension interne de ce combat requiert entre autres considérations la nécessité de reconquérir nos ressources et contrôler le fruit de nos labeurs, mais surtout lutter contre l’intériorisation de notre oppression qui nous pousse à participation à notre propre destruction en embrassant les comportements que nos oppresseurs veulent voir en nous. Elle se manifeste par les violences internes, l’incapacité à prendre des initiatives résolues, le goût du luxe, la consommation excessive, le manque de sens des priorités. Est-ce raisonnable de perdre notre temps à discuter des derniers films d’Hollywood et de la « vie » des célébrités alors que nos forêts sont détruites, nos terres bradées, et l’eau que nous buvons devient de moins en moins potable et se raréfie ?

Nous devons combattre avec ardeur et persévérance cette oppression latérale qui est, pour une grande part, la conséquence de l’oppression verticale que nous subissons depuis plusieurs siècles.

 

Si nous reconnaissons le fait  qu’il incombe aux Africains de se battre pour sortir de leur condition, il est erroné voire même hypocrite d’en faire les « responsables », qui leur est imposée par de puissantes forces organisées qui s’évertuent à les maintenir dans une misère exécrable parce qu’elles s’en nourrissent.

Nos contradictions internes, nos limites et nos insuffisances nous regardent, nous, Africains. Ce que nous devons discuter avec les autres communautés ce sont les relations agressives, toxiques que nous entretenons avec elles.

Peut-on considérer comme étant sans aucun effet, la présence de forces militaires dans nos pays, les interventions militaires, les assassinats de dirigeants, les politiques d’endettement de la FMI et de la banque mondiale, le contrôle des leviers de l’économie, des institutions financières, du trafic maritime et des ports, la capacité de créer une inflation, la présence de milliers d’ONG qui, si elles sont non gouvernementales, n’en demeurent pas pour autant des forces ayant un agenda et des activités politiques ?
 

Refuser d’analyser l’ordre politique et social de nos pays sans prendre en compte les différents mécanismes qui participent à le modeler, relève d’une mauvaise foi évidente. La politique détermine les mécanismes de production, d’accumulation et de redistribution des ressources. Disposant du pouvoir de légiférer, l’Etat est chargé de réguler le commerce et la propriété. Les gouvernants ont ainsi le pouvoir de déterminer des priorités, de mettre au second plan certaines questions, d’accélérer ou de retarder le renforcement de certaines politiques publiques nationales, de criminaliser ou de décriminaliser.

Elle est une force de changement social par le pouvoir dont il est le dépositaire ; ce dernier étant la capacité d’obtenir des autres qu’ils agissent selon sa volonté et de ne pas agir contre sa volonté, car c’est le pouvoir qui crée les contraintes par lesquelles on impose par des lois, structures et institutions, le cadre qui détermine le type de relations au sein d’une société donnée.

Si la politique ne pouvait pas changer la société, qu’est-ce qui poussent les différentes forces politiques à entrer en compétition les unes pour conserver les valeurs sociales et l’ordre social qu’ils chérissent et les autres qui cherchent à l’améliorer, ou à les transformer complètement ?

Si nous voulons sortir des ténèbres de l’oppression, il va nous falloir porter plus d’attention aux discours que les autres tiennent sur nous, tout autant que ceux que nous tenons sur nous-mêmes, aussi bien au niveau individuel que collectif.

Les peuples africains doivent investir le champ politique et ne pas le laisser à la merci des forces organisées qui sont en concurrence pour capter l’argent de la corruption, afin de servir des intérêts étrangers.

C’est procéder à une analyse de notre condition de façon radicale, loin des diagnostics superficiels, dans ses causes, ses racines les plus profondes, si nous voulons apporter des changements réels et profonds et ne plus nous contenter de fragiles et éphémères rafistolages.

C’est questionner, les idées, les pratiques les attitudes et les habitudes, de tout ordre.

En nous engageant dans ce processus de recherche des origines historiques des concepts qui organisent la société, la politique ou l'économie, on se rend compte que loin d’être naturelles, ces idées et concepts se révèlent bien souvent n’être que les conséquences des luttes de pouvoir ou des mécanismes désuet de contrôle social.

Si nous voulons sortir des ténèbres, il nous faudra jeter une lumière crue sur le sens et les finalités des discours et actions de « nos intellectuels », acteurs économiques et autorités traditionnelles et religieuses ; questionner en toute objectivité leur allégeance au système de domination impérialiste, qui affecte négativement nos existences.


Secouer le confort de cette catégorie d’académiciens dont l’essentiel du travail consiste à préserver et diffuser l’héritage intellectuel occidental. Lequel, s’enracinant dans la renaissance européenne, a joué un rôle central dans la justification de la violence de la conquête militaire européenne et l’occupation coloniale de l’Afrique, au lieu de donner à ce continent les instruments pour penser sa condition et la transformer.

Les relayeurs de ces discours jouent le rôle de sont ceux qui sont dès les principales attractions du cirque, chargés de promouvoir les contre valeurs, en servant de contre modèles de référence auprès de populations qui, faute de véritable projet éducatif, qui leur soit propre, pensent que leur mission est d’éduquer leurs enfants aux différents métiers du « cirque. ».

Ce sont ceux qui prétendent avoir vu la « lumière » qui nous ramènent dans les ténèbres du mensonge et de l’hypocrisie, participant ainsi au projet nos oppresseurs consistant à nous maintenir dans une condition d’abjecte servilité.

Ils font tout pour nous empêcher de comprendre la nature réelle du système et les conditions dans lesquelles nous vivons et ainsi d’identifier les combats que nous devons mener.

Ils promeuvent l’idée que les populations captives doivent se débarrasser de leur identité africaine, et se réfugier dans les multiples mécanismes de défense qui leur permettront de « rester positifs et regarder le bon côté des choses », car il « y aurait un aspect positif » dans notre asservissement collectif.

Cet état d’esprit nous empêche d’affronter la lumière, de poser les fondements intellectuels de la Renaissance Africaine.

Ces discours reprennent les vieux clichés et stéréotypes racistes sur le continent qui véhiculent dans leur substance, l’idée que le développement du continent africain ne serait entravé que par la corruption, l’analphabétisme, les mentalités et pratiques culturelles archaïques, en somme les forces négatives internes. Ce qui revient d’une certaine manière légitimer à posteriori, l’entreprise coloniale, et suggérer que nous ne pourrions accéder au progrès, au développement et à la civilisation, qu’en suivant la prétendue « voie de nos colonisateurs ». Non pas celle qui les a conduit à accumuler richesse et pouvoir à travers leur entreprise de conquête du monde et d’accaparement des richesses des peuples colonisés, mais celle qui nous confine dans ce mimétisme servile et le rôle d’agents du système néocolonial. Et qui sous le prétexte de la quête de « l’évolution », du développement et du progrès, nous installe de façon permanente, dans la dépendance et l’impuissance. 

C’est le discours des membres d’une catégorie caractérisée par une profonde impuissance, sans aucun pouvoir sur les orientations politiques et économiques de leurs pays. A ce titre, même si elle compose l’essentiel des classes dirigeantes de leurs pays, ne se comporte pas comme une véritable « élite », car elle est prête à renier sa propre dignité et compromettre celle des masses opprimées pour le prestige et les miettes de pouvoir. Ils fonctionnent comme d’actifs collaborateurs permettant de faciliter le maintien de système oppressif. Une élite véritable, composés des meilleurs d’entre nous, a le sens de l’honneur et ne saurait se complaire dans la servitude, la vassalité et la compromission. 


Notes

         Ces voix sont les relayeurs de discours de « l’élite symbolique » des pays dominants composés d’académiciens d’experts, journalistes etc. Les intellectuels des pays dominés sont souvent de pâles « figures symboliques ». Leur rôle est diffèrent de ceux des pays dominants qui exercent le contrôle sur l’essentiel des lieux de production de discours et de leurs plateformes de diffusion. Ce sont souvent eux qui par l’intermédiaire des différentes institutions et organisations de la société civile, peuvent influer et modeler le climat politique national et international. Ces élites symboliques jouent un rôle central dans ce dispositif, car elles décident de ce qu’il est important d’enseigner ou non, des thèmes de recherches, et forment la majorité des professionnels et experts qui vont en retour intervenir dans des plateformes extra académiques par les publications, rapports, articles et interventions médiatiques pour participer à former l’opinion publique. Il faut noter qu’il existe au sein de ce groupe de dominants, différents niveaux de discours, certains plus médiatisés et d’autres qui subissent une sorte de censure. Ceux parmi les groupes dominés, sont généralement comme des relais du discours produit dans les centres de production de connaissances qui détiennent le pouvoir d’ouvrir leurs archives ou pas, de valider ou d’invalider des thèses, de baliser le chemin intellectuel de nos universitaires par les références bibliographiques « qui comptent » la bibliographie.


2          Dans les  rapports des Africains avec les Occidentaux et les membres des autres groupes en général, on peut repérer ce que dans la psychologie sociale on appelle des réactions de « défense sociale », développées aussi bien par les individus que par les groupes et abordés par Alex Mucchielli dans son ouvrage « La psychologie sociale ».

Ces réactions de défense régissent les rapports entre dominants et dominés.

« Face à ce risque permanent d’être évalué, jugé et critiqué… l’individu à tendance à développer un certain nombre de réactions défensives que nous allons étudier ci-dessous et qui montrent bien que la présence d’autrui à travers son regard n’est pas neutre, mais qu’il est toujours perçue comme menaçant pour la valeur sociale de chacun.


Les réactions de « défense sociale » des individus et des groupes

Les réactions d’attaque qui visent à repousser ou à annihiler la menace, le danger de jugement dévalorisant ou la situation d’insécurité créée par la menace d’autrui ou d’un autre groupe.

On trouve là, les agressions défensives-préventives (guerre préventive), les accusations, les rejets (lynchages), etc… Certaines situations favorisent ce mode de défense : être en rivalité, être observé-jugé, être acculé, sans autre issue, être (ou se croire) dans un risque d’agressions imminentes et graves…

L’attaque peut être évidemment verbale ou physique, effective ou simulée (conduites d’intimidation). p.42

Les réactions d’intimidation

Il s’agit de toutes les manières qu’ont les humains pour parader pour faire croire à leur haute place dans la hiérarchie sociale. Nous débouchons par là sur les conduites d’ostentation. Pour les groupes, ces conduites se traduisent par les parades guerrières, la dissuasion, l’ultimatum, les constructions d’intimidation comme les châteaux forts.

Les menaces et les défis

Par ces conduites, l’individu essaie de faire céder l’adversaire, de la décourager, voire de reprendre l’avantage en montrant sa propre puissance. Les groupes s’affirment par les grèves, les violences d’intimidations.

Les réactions d’évitement

Il est souvent plus prudent de passer inaperçu et d’éviter la rencontre pour éviter le jugement. L’évitement typique est la fuite. L’individu et le groupe se mettent à distance du risque. Il évite la situation dangereuse pour lui (mise à distance, ghetto, snobisme, toxicomanie, sacrifice collectif). p.43

Les réactions de simulation

Nous trouvons là un ensemble de conduite qui vise à lui donner le change. C’est une sorte de conduite de mensonge faite dans le but d’éviter le jugement défavorable (valorisation sociale) et bien sûr aussi les réprimandes, les actions punitives, les atteintes directes à la personne (sécurisation), on trouve là les conformismes de façade, les faire-semblants divers. L’individu peut faire l’idiot, faire l’homme ivre, faire l’innocent, faire l’incompétent. Le groupe pratiquera les camouflages, les simulacres et les mises en scènes.


Les réactions de blocage

Face à autrui, la réaction défensive consiste à s’immobiliser, à ne plus bouger pour ne plus donner prise au jugement. La peur elle-même peut paralyser l’individu qui est alors incapable de tenter une action. Mais « faire le mort » est aussi une réaction de défense bien connue comme pour un groupe proclamer un tabou général, instaurer un couvre-feu ou le black-out.

Une conduite d’immobilité protectrice et de dissuasion (à sa manière), de l’agression redoutée de la part de l’autre. p.44

Les réactions de rétraction

Il s’agit de se faire tout petit, de se faire oublier, de montrer que l’on ne vaut pas la peine de se faire attaquer. L’individu ou le groupe se préservent ainsi des risques de dévalorisation. Il évite le risque d’être mis et vu en état réel de faiblesse. La réponse d’auto-diminution et d’auto-dévalorisation est l’inverse de l’auto-grossissement. Dans la rétraction par auto-diminution, l’individu prend l’attitude de la soumission passive. Même humilié, le sujet qui a cette réaction défensive, s’incline et sourit pour ne pas contrarier son dominateur.

Disertori (1975, p.51) remarque que l’on rencontre la dévalorisation de soi, même sur le plan collectif, dans des minorités séculairement opprimées et humiliées. Une telle attitude transforme celle de l’interlocuteur, d’agresseur potentiel il devient un dominateur reconnu et pouvant avoir bonne conscience. Cette attitude l’incite donc à la bienveillance puisqu’elle lui reconnaît la puissance et la supériorité. p.44-45

Les mises à l’abri

Il s’agit de se protéger de la menace en se réfugiant dans une conduite stéréotypée, dans un rôle ou dans un statut formel qui sert de carapace, de rempart, de risque de « perdre la face » (Goffman, 1974), fabrication d’une utopie, rituel protecteur, secret défense pour les hommes politiques.

Les réactions de soumission

Dans les conduites d’allégeance, l’individu ou le groupe recherche la protection en se montrant d’accord, en se soumettant. Il cherche à se rassurer et à se faire bien voir par l’appartenance affichée, par la déclaration de vassalité ou au moins par l’approbation ostensible. Les façons de faire comprendre sa soumission allégeance sont nombreuses : hochement de tête, regard de soumission… sans parler des formes ritualisées de la soumission : confession, autocritique, céder le pas…

p.45

Les réactions de justification

C’est le rôle de l’idéologie d’expliquer autrement ce qui vient d’être dit.

Les réactions de séduction

Le sujet fait des avances, fait du charme, montre sa faiblesse, pleurs, larmes pour se faire accepter, consoler. Il achète sa sécurité. Toutes ces conduites de défenses, visent donc comme nous l’avons vu au travers des exemples rapportés, à préserver la « valeur sociale » de l’individu observé et à lui faire retrouver une certaine autorité. p.46

La psychologie sociale, p. 42 à 46 -  Alex Mucchielli, éd. Hachette

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Dernière publication : 25/09/2024