Patriotisme, Néocoloniaslime
et lutte contre l’impérialisme
(1ère partie)
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La classe dirigeante sénégalaise, à l’instar de celle de beaucoup de pays africains, semble réfractaire à toute remise en question du statu quo néocolonial, préférant se complaire dans la servitude volontaire.

La récente évocation, par le chef du parti d’opposition au Sénégal, Ousmane Sonko, sur le rôle de nos forces armées au sein du système impérialiste occidental à travers la « Minusma », a suscité de vives réactions, de la part de certains hauts responsables de nos institutions militaires, sans argumentaire solide.

Cette question, qui ne concerne pas uniquement les forces armées, devrait être une opportunité de relancer le débat sur notre « indépendance » après plus d’un demi-siècle, a été esquivée avec une suspecte facilité.

Ces réactions expriment, soit la confusion qui habite les membres de la classe dirigeante sénégalaise, soit leur duplicité, ou les deux à la fois. Confusion qui naît de notre obstiné refus de réfléchir sur les causes profondes de notre désastreuse condition collective.

La question soulevée, celle de notre inféodation au système impérialiste est d’une importance capitale qu’il nous faut aborder avec courage si nous voulons transformer notre condition.

Nos institutions étatiques n’ont que les signes extérieurs de souveraineté, avec des symboliques importés, des législations empruntés, des armées s’inscrivant dans la continuité non pas de la résistance au colonisateur, mais de la « force noire » ayant soutenu les forces impériales européennes dans leurs entreprises de conquêtes et de répressions coloniales et qui continuent de les soutenir.

Concernant la nature de nos institutions militaires voici ce qu’en pense, un de leurs « frères d’armes » du côté des vainqueurs, Marc Fontrier, dans son essai sur les armées africaines :

« D’emblée, les armées africaines se sont inscrites dans une relation ambiguë avec leurs propres États.

Non seulement ces armées ne sont pas le produit de diverses traditions guerrières spécifiquement africaines, mais elles se sont développées au terme d’une relation conflit-fascination avec le colonisateur, celui qui par ses armes a vaincu leurs parents et les mânes de leurs parents, celui dont la magie est la plus forte, par lequel on se laissait encore « manger » pour acquérir ou devenir sa force
 ». 1

Cet observateur fait même une brève allusion à l’épineuse question de la Casamance.

« Certaines armées sont confortablement rémunérées, au détriment du renouvellement de leurs équipements, de leur entretien ou de leur entraînement…

Ces armées, paisibles puisque le ventre plein, vivent pendant des années à l’ombre des accords passés avec un protecteur extracontinental. L’affaire ne va pas sans risques. Lorsque l’histoire les accule en les mettant aux prises avec une problématique opérationnelle interne, en Casamance ou en pays dioula par exemple, leur véritable capacité a alors tôt fait de montrer ses limites 
».2

Selon l’auteur, pendant qu’en « Occident l’institution militaire a été un élément intégrant du processus de développement politique », nous avons en Afrique : « Des armées incongrues pour des États non construits ».3

Nous pouvons concevoir l’incapacité de certains membres de notre classe dirigeante à comprendre le monde, mais nous devons refuser de toutes nos forces qu’ils continuent de nous confiner dans les ténèbres de l’asservissement mental et matériel.

Ce rapport de fascination et de dépendance dont parle l’auteur, traverse toutes nos institutions étatiques, et fait de la « décolonisation », un « intermède » dans pour permettre la continuité des rapports coloniaux.

S’il a existé dans le passé des peuples qui ont été fascinés par leur colonisateur, cette attitude relève d’un manque d’estime de soi et d’une mentalité servile.

Qu’est-ce qui se passe dans nos esprits pour que depuis la colonisation bon nombre d’Africains puissent considérer la puissante occupante comme leur « mère patrie » ?

Que notre soutien à cette puissance coloniale puisse même être une source de fierté. Si c’est la peur qui nous fait rejoindre le camp des plus forts au lieu de celui de la Justice, que nous arrivera-t-il quand la force changera de camp et ne sera plus du côté de nos « protecteurs » ?

Si le monde est régi par des rapports de forces, qu’est ce qui nous empêche de construire notre propre puissance ?

Comment pouvons-nous construire des Etats forts, reposant sur un solide sentiment patriotique, si nous sommes dans une grande confusion concernant notre identité, notre relation à nous-mêmes et aux autres ?

Pourquoi avons-nous des dirigeants plus loyaux envers les anciens colonisateurs et qui continuent de traiter leurs peuples comme des indigènes ?

Se méprendre sur le rôle de nos armées, c’est se méprendre sur la nature de l’Etat en général, et celui néocolonial en particulier, mais aussi et surtout, sur le sens du patriotisme, de la souveraineté ainsi que sur notre responsabilité individuelle dans notre condition collective.

C’est faire preuve d’une grande méprise que de penser que la  « mondialisation » aurait fait disparaitre l’impérialisme. Nous semblons trouver notre confort au sein d’une mondialisation dont les principaux acteurs sont en compétition pour avoir le maximum de contrôle sur les richesses de notre continent.

C’est ce contexte international qui, plus que la conjecture actuelle, nous rend vulnérables à l’insécurité alimentaire.

Nos pays vivent en situation de crise permanente depuis longtemps, bien avant la pandémie et la crise ukrainienne.

La situation que nous vivons est le résultat de décisions politiques visant à nous maintenir dans la pauvreté.

Sous bien des aspects, elle n’est que l’aggravation des dysfonctionnements et tares du système néocolonial. La pauvreté endémique, la faiblesse des institutions, la corruption généralisée, la déliquescence des services sociaux, la régression sociale et culturelle, la mal gouvernance, sont les conséquences de l’Etat néocolonial, cet instrument de domination impérialiste qui assure la continuité de la servitude coloniale.

L’impérialisme, ce phénomène d’extension de la domination de certains pays sur d’autres, dans le but d’obtenir l’accès à leurs ressources, à travers le contrôle de leur économie et de l’appareil politique, par l’usage de la force militaire ou par les procédés moins agressifs du « soft power ».

Opérant par la capture de l’appareil d’Etat afin de s’assurer de la permanence de la domination économique, l’impérialisme s’appuie sur une administration servile, des forces armées et de police dans la continuité des armées coloniales, des hommes d’affaires dont les intérêts sont étroitement liés à ceux de la métropole, et « d’intellectuels de médias relayant sa propagande idéologie.

C’est en tenant compte de cette réalité que nous pourrons analyser notre leadership et notre responsabilité à tous les niveaux.

La pertinence de notre diagnostic sur notre situation permet de réduire ou d‘élargir l’éventail de nos possibilités.

Bien souvent, concernant l’analyse de la situation qui prévaut sur notre continent, nous avons tendance à nous arrêter sur nos dirigeants, qui, même si leur responsabilité dans notre condition collective ne fait aucun doute, ne constituent que la face visible de l’iceberg, sans pour autant nous interroger sur les implications de cette analyse superficielle.

Cette attitude consistant à ne s’arrêter que sur les dirigeants, occulte toute responsabilité des pays impérialistes dans le dysfonctionnement de nos Etats ; ignore la capture de l’Etat en Occident par la bourgeoisie capitaliste ou l’oligarchie financière.

Elle suggère de façon implicite que les pays occidentaux auraient des dirigeants qui « aiment leurs peuples », occultant ainsi tous les sacrifices consentis par ces derniers dans leurs luttes contre leurs dirigeants ;

Minimise le rôle de l’impérialisme occidental dans la création de l’Etat providence en Europe ; Ignore la prévalence de la corruption et du clientélisme chez les « vieilles démocraties » autoproclamées, qui sous nos yeux violent les principes qu’elles prétendent défendre ; se débarrassent par la force de dirigeants de pays qui refusent de servir leurs intérêts et nous montrent comment, par les interventions militaires, économiques et humanitaires se fabrique la « faillite des Etats », afin de mieux les contrôler.

Elle nous fait intérioriser les préjugés datant de l’esclavage sur nos déficiences morales de nos sociétés, et nous fait ainsi mépriser notre culture en essentialisant la race noire comme étant impropre à la civilisation et au leadership vertueux.

Elle empêche toute capacité de mobilisation contre un ennemi extérieur, « l’ennemi des Africains devant être les Africains eux-mêmes ».

Là où l’impérialisme intra européen, avait réveillé de fortes réactions nationalistes, en Afrique dans la majorité des cas, c’est la fascination pour le colonisateur qui prévaut.

Pourquoi n’entend-on jamais les Européens, qui pourtant se sont entretués par millions pendant des siècles, dont certains gouvernants ont massacrés leurs ressortissants à une échelle jamais égalée par le pire des dictateurs africains, désigner l’Européen comme l’ennemi de l’Européen ? Cette superficielle analyse de notre condition empêche toute profonde interrogation sur la nature de l’impérialisme, du capitalisme de l’état néocolonial et de leurs mécanismes.

Notre adhésion à cette conception du leadership reposant sur une démarche allant du sommet à la base, par opposition à celle allant de la base  au sommet, fait que nous avons tendance à attendre le changement d’individus exceptionnels , d’un sauveur, nous guidant vers la terre promise, au lieu d’initier et construire des dynamiques collectives porteuses de changements sociaux.

Ce phénomène de promotion du leadership charismatique peut s’observer de nos jours, à travers la personne du président rwandais Paul Kagamé.

Nous sommes en droit de nous nous interroger sur les motivations derrière la promotion du modèle rwandais par les plateformes médiatiques occidentales et institutions qui lui déroulent le tapis comme si le développement de l’Afrique était au centre de leurs préoccupations.

A qui profitent les narratifs largement médiatisés sur les modèles de leadership en Afrique sinon à ceux qui veulent nous imposer leur propre vision du monde, leur propre agenda ?

Les pays européens ont-ils un modèle politique et économique politico-économique unique ? Sur le continent européen chaque pays a son modèle de gouvernance politique et socioéconomique en fonction de ses propres spécificités culturelles, allant du capitalisme le plus sauvage à la social-démocratie. 

Devrions-nous prendre pour modèle un président impliqué dans la sanglante guerre qui secoue le Congo qui, depuis 1998, aurait fait plus de 6 millions de morts et causé le déplacement de plus de cinq millions de personnes ?

Est-ce le prix à payer pour le « développement » ?

Comment se fait-il qu’après de nombreux rapports faisant état de son implication dans des cas de violation des droits de l’homme le pays ne fait l’objet d’aucune sanction alors que pour moins que cela, le président Laurent Gbagbo a été emprisonné ? Pourquoi devrions-nous prendre pour modèle un pays qui viole le principe fondamental du Panafricanisme, à savoir le devoir de solidarité et d’unité entre pays africains ?4

Peut-on dénoncer les agressions contre un pays africain lorsqu’elles sont perpétrées par des pays étrangers et les accepter lorsqu’elles sont le fait de pays Africains ?

Allons-nous nous lancer dans des guerres fratricides pour nous développer ?
Avons-nous les moyens d’imiter le capitalisme, en colonisant plus de la moitié des terres immergées de notre planète ? Croyons-nous vraiment que la colonisation n’a rien à voir avec le développement de l’Occident ?

Allons-nous suivre les Occidentaux jusque dans leurs impasses ?

A bien y penser, les campagnes de propagande des médias occidentaux insinuent que le sous-développement du continent n’est pas dû à l’impérialisme qui serait un cadre d’analyse désuet, encore moins aux politiques néolibérales, mais à la mauvaise gouvernance et la corruption.

 C’est une manière détournée de nous inviter à « dépasser la question coloniale », comme le Rwanda l’aurait fait avec le génocide ; alors que ces deux phénomènes sont loin d’être comparables, le génocide Rwandais s’inscrivant lui-même dans la logique de la continuité coloniale.

Elle limite notre vision du développement à la construction par les firmes étrangères et, essentiellement pour leurs propres afin de mieux organiser le pillage des ressources locales, de luxueux édifices et d’infrastructures de prestige.

Pourquoi dénoncer les dérives de l’impérialisme, si tout ce qui nous importe c’est de pouvoir continuer de vivre dans des enclos plus propres et plus confortables, d’obtenir un traitement plus respectueux de la part de nos maîtres.

Accepter ce modèle c’est embrasser un capitalisme néolibéral des plus tyranniques, et un moyen efficace d’étouffer la lutte contre l’idéal panafricaniste.

C’est faire à un dangereux raccourci, que de penser qu’avoir des différends temporaires avec l’Etat français, c’est être contre l’impérialisme français, anti-impérialiste, ou être « panafricaniste ».

C’est ignorer toute la complexité des relations au sein du bloc impérialiste, les liens de vassalité, de domination interne au sein du bloc impérialiste, les stratégies de positionnement et de repositionnement, ou les alliés d’hier deviennent des ennemis et vice et versa, sans oublier les relais locaux récompensés par l’afflux massif d’investissements en récompenses de leurs bons et loyaux services. Le bloc impérialiste est loin d’être uni, il est traversé par des rivalités, lesquelles les ont conduit dans de sanglants conflits sur le continent européen et ailleurs.

La compréhension de ce système ne saurait se limiter aux superficielles et tendancieuses informations que nous offrent les médias.

Hier, ces narratifs portaient sur l’Afrique du Sud en la personne de feu Nelson Mandela, que la propagande médiatique a présenté comme « le libérateur » de son pays, occultant les énormes sacrifices du peuple sud-africain à travers les autres partis et mouvements politiques, les syndicalistes, écoliers, sans oublier les internationalistes africains, cubains et européens.

Nous avons pu voir se produire sous nos yeux le processus par lequel l’hégémonie blanche occidentale parvient à assurer sa continuité par « le transfert des compétences » de la « gestion politique » à une classe dirigeante africaine, tout en conservant le pouvoir économique, c’est-à-dire la capacité de contrôler cette dernière. Nous avons été témoins de la « mue » d’un Etat colonial en un Etat néocolonial, qui reproduit les mêmes mécanismes avec nos Etats « indépendants » depuis les années 1960, sans trop y faire attention, emportées dans le tourbillon émotionnel autour de l’évènement. C’est en ayant le contrôle sur les narratifs entre autres, que les forces impérialistes arrivent à neutraliser l’élan révolutionnaire des masses. En n’insistant que sur la dimension « esthétique » des mouvements révolutionnaires, les vidant ces derniers de toute substance afin de garder « une mémoire apaisée », sous une condition de disgrâce et de misère constante.

L’aspect que la majorité des Africains retient de Mandela, c’est moins son ardeur militante qui l’a conduit en prison, que celui de l’homme qui a pardonné à ses geôliers et ne s’est pas accroché au  pouvoir.

Le discours dominant s’arrange pour diluer l’héritage de ces combattants afin d’empêcher toute continuité dans ce combat de longue haleine.

En ignorant les détails sur les processus des luttes sociales du passé, nous aurons du mal à construire de nouvelles perspectives révolutionnaires.

Accepter que l’on nous impose des modèles à suivre, c’est renoncer « d’habiter » ce monde, de l’investir par notre propre agenda, notre propre pensée et notre propre volonté. C’est accepter que l’on nous force à revoir à la baisse nos ambitions. Notre ambition n’est plus de nous libérer de l’impérialisme, construire une Afrique unie et prospère, mais de réduire la pauvreté, avoir une capitale propre en impliquant les citoyens au lieu d’avoir un système performant de collecte et de traitement des déchets.

Cette attitude nous empêche d’initier de larges et performantes dynamiques organisationnelles, nous installe dans l’attentisme et nous rend vulnérables à toute sorte de manipulations. Parce que nous semblons vouloir tout ce que l’Occident veut ou valide bien que nous prétendons être dépositaires de valeurs différentes. Sans une idéologie claire, nous continuerons de naviguer à vue pendant encore un siècle le temps que l’ordre impérialiste se recompose. Le combat pour la libération du continent doit reposer sur des idées cohérentes et des principes non pas sur les individus. Aussi méritants qu’ils puissent être, les individus passent les peuples demeurent. C’est manquer de clairvoyance que de sacrifier les aspirations de justice d’un peuple pour la gloire personnelle.

Nous semblons ne pas vouloir tirer des leçons du passé.

Qu’est-il arrivé au Congo après Patrice Lumumba ? Au Burkina après Thomas Sankara ? À l’Afrique du Sud après Mandela ?

Un peuple véritablement conscient n’attend ni une solution de part de ceux qu’il considère comme étant à l’origine de ses problèmes ni la libération par un messie.

Un peuple qui attend la libération d’un messie ne se donnera jamais les moyens de protéger son indépendance et sa liberté.

Un peuple jaloux de sa liberté ne porte pas son espoir sur des individus, mais sur sa détermination à défendre par tous les moyens les principes et idéaux qui lui permettent de préserver sa  dignité et d’élever son humanité.

Sans une véritable aspiration à l’auto détermination, une soif collective de liberté et de justice qui saisit le peuple dans sa majorité nous n’aurons d’autre héritage à transmettre aux générations futures que les chaines de l’asservissement.

N’est-ce pas cette posture attentiste qui explique en partie la faiblesse de notre engagement citoyen, minimise notre responsabilité dans la transformation sociale et politique de nos sociétés ?

En rejetant la faute uniquement sur des dirigeants qui ne sont point tombés du ciel, nous pouvons nous permettre de donner libre cours à nos intérêts égoïstes au détriment de notre progrès collectif. Nos soldats vont s’engager pour sécuriser l’exploitation de nos ressources naturelles pour le profit des multinationales étrangères, ceux qui sont sortis des grandes écoles et universités se vantent de mettre leurs talents au service de ces multinationales, nos académiciens mettent leurs compétences pour que la France retrouve son influence en Afrique, les populations par leurs consommations ostentatoires contribuent à renforcer les capacités financières de ces entreprises.

Pouvons-nous, alors que nous sommes presque exclusivement occupés à la poursuite de nos intérêts personnels ; n’étant membre d’aucune organisation œuvrant pour le progrès du continent, nous attendre à ce que des dirigeants avec lesquels nous avons vécu dans les mêmes quartiers ou partagé les bancs d’écoles ou d’universités, s’occupent de notre intérêt collectif ?

La faillite de notre leadership ne fleurit-il pas sur le vide laissé par notre désengagement politique ?

Ainsi, pendant que toutes les autres communautés sont insérées dans de nombreux réseaux d’organisations pour faire avancer leurs causes, leurs projets, nous nous contentons de dénonciations sans aucun réel dévouement pour le progrès de l’Afrique et des Africains.

Les nombreuses associations fraternelles du passé, les sociétés secrètes qui faisaient trembler les envahisseurs ont fait place aujourd’hui à des organisations n’existant principalement que pour capter les subventions des ONG étrangères, ou pour des activités distractives, et nous passons notre temps à parler de la puissance des organisations franc-maçonnes, sommes-nous incapables de créer de plus puissantes organisations capables de faire face à leur domination .

Sans aucune pensée idéologique cohérente, habitués à gérer les affaires des autres communautés, nous avons renoncé à redevenir des bâtisseurs de nations et sommes devenus des populations sans aucune cohésion civique et avec un confus sentiment d‘appartenance.

Nous semblons donner raison à l’auteur cité plus haut lorsqu’il dit :

« Ainsi, sur le continent africain où le sentiment national dépasse difficilement les chaleureuses exubérances d’un succès sportif, est-il aujourd’hui encore difficile d’entrevoir le lien mystique qui devrait unir un peuple et son armée. La base de l’édifice national est fragile. Bouvines n’a pas encore eu lieu, Valmy parfois, encore que intra limes. Quant aux héros africains, ils sont d’une histoire ancienne; aucun Samory Touré, aucun Soundiata Keita, aucun Shaka n’éclaire le moment des indépendances. »

« Pire, on observe un refus, par les intéressés eux-mêmes, de chercher dans leur propre mémoire les éléments culturels qui, transcendant les différences, auraient permis d’esquisser un sentiment national. »

« Pas d’indépendance, pas de pensée souveraine, une nouvelle alternative où le continent était absent de lui-même. Pas d’authenticité. Sans étincelle pour mettre la vie à ces corps aberrants, tout le reste est demeuré factice, au premier chef la construction militaire, celle qui a le plus besoin de fonder son existence sur les mythes de la terre et du sang. »5

La question de notre souveraineté nationale ne saurait relever de la seule responsabilité de dirigeants qui le plus souvent nous ont été imposés par les pays impérialistes.


Nous devons avoir un cadre analytique qui nous aidera à comprendre ce qui se passe, comment en sommes-nous arrivés là où nous en sommes, que devons-nous faire ?

Un cadre théorique capable de fournir des réponses adéquates pour la compréhension et la transformation nécessaire de notre condition dans le monde /et du monde.

C’est faire preuve d’une bien plus grande méprise, que de penser que nous pourrons être compétitifs au sein d’un système qui ne nous considère pas comme des acteurs mais « l’objet » même de sa compétition.

Comment comptons nous entrer en compétition avec ceux qui prônent le libre-échange et la concurrence, alors qu’ils cloisonnent leurs marchés, leurs entreprises, font tout pour détruire leurs concurrents afin d’être en position de monopole dans nos pays et ont transformé les relations commerciales en une guerre totale. Et nous sommes toujours assez naïfs pour croire aux chimères qu’ils nous vendent depuis des siècles, en ne prêtant pas d’attention à ce qu’ils font.

Peut-on mettre sur le même pied d’égalité les pays qui initient, élaborent et conçoivent les conventions et traités internationaux et ceux à qui ils s’imposent ?

Ceux qui contrôlent notre monnaie, notre système bancaire, notre économie, et peuvent nous imposer des sanctions entre autres moyens de contraintes ?

Comment pourrions-nous devenir compétitifs lorsque les leviers de nos économies sont sous le contrôle du capital étranger ; que la structure même de nos économies est conçue de façon telle, qu’elle sert principalement à organiser le flux des capitaux vers les pays industrialisés ? 

Avec ce système, nous risquons d’attendre en vain que la « transition démographique » nous fasse bénéficier de la « croissance économique ».

Peut-on considérer comme normal, le fait que des pays tiers, situés à des milliers de kilomètres de chez nous, puissent poursuivre leurs « intérêts nationaux » à l’intérieur de nos frontières, allant jusqu’à fomenter des coups d’Etats dans nos pays ; assassiner nos leaders politiques, organiser des rebellions armées, mener des entreprises de déstabilisation de nos sociétés, afin de pouvoir exploiter durablement nos ressources entrainant l’asphyxie sociale et culturelle de nos populations ?

S’agit-il là de la simple poursuite d’intérêts nationaux, ou d’une véritable guerre lancée contre nos pays et nos peuples ?

De quel côté nous situons nous dans ce que de nos jours, on appelle de façon banale : « guerre économique », comme si le qualificatif « économique » ôtait toute la dimension belliqueuse de cette entreprise guerrière ?

Allons-nous soutenir nos oppresseurs, chercher d’autres protecteurs ou allons-nous engager la lutte pour sortir des griffes de la servitude ?

Pouvons-nous nous permettre de nous positionner en observateur neutre devant une guerre qui nous concerne particulièrement ?

Attribut fondamentale de l’Etat, la souveraineté tout comme l’indépendance à laquelle elle est assimilée n’est pas reçue comme un cadeau, elle est conquise de haute lutte et de façon collective.

Quelle est notre responsabilité dans la faillite du leadership sur le continent ?

Comment pouvons-nous faire face collectivement aux différentes formes de pressions militaires, économiques et financières qui permettent d’exercer un chantage sur les autorités dirigeantes de nos pays ?

Si ceux qui pointent le doigt sur la responsabilité des dirigeants se battaient réellement contre ces derniers, ils se rendraient vite compte qu’ils auront à affronter les pays impérialistes derrière la plupart des dirigeants en place. C’est d’un même élan qu’il nous faudra engager la lutte contre l’impérialisme à travers ses relais locaux.

Comprendre le rôle de l’impérialisme et du capitalisme dans la condition des peuples africains, ce n’est pas nier la responsabilité des dirigeants africains comme veulent le faire penser ceux qui préfèrent attendre à ce que d’autres se sacrifient pour notre libération collective. C’est tout au contraire, engager notre responsabilité individuellement. C’est manquer d’honnêteté et de courage que d’arrêter notre regard sur le cadre national sans tenir compte du contexte international qui l’impacte profondément depuis des siècles.

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Notes

1 « En Occident, l’institution militaire a été un élément intégrant du processus de développement politique : sa nationalisation s’est trouvée au cœur de la constitution de l’État central. Ailleurs, on observe le même phénomène à partir des armées qui ont précédé ou fait surgir un État moderne. En Afrique noire, rien de tel ne se donne à constater, offrant en cela un autre aspect du décalage entre armée et nation, dans le processus de construction du pays ».


Des armées Africaines comment et pour quoi faire ? Marc Fontrier
« Outre-Terre » 2005/2 no 11 | pages 347 à 374
DOI 10.3917/oute.011.0347
Article disponible en ligne à l'adresse :

https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-2-page-347.htm


2 « Certaines armées sont confortablement rémunérées, au détriment du renouvellement de leurs équipements, de leur entretien ou de leur entraînement. Pour cela, les États jouent souvent de la concurrence entre les grandes puissances, lorsque des certitudes existent sur leurs velléités d’influence. Ce choix sera celui de la Côte d’Ivoire, du Gabon ou du Sénégal, où le budget des forces restera consacré à hauteur de 90% aux soldes des militaires ; ces armées, paisibles puisque le ventre plein, vivent pendant des années à l’ombre des accords passés avec un protecteur extracontinental. L’affaire ne va pas sans risques. Lorsque l’histoire les accule en les mettant aux prises avec une problématique opérationnelle interne, en Casamance ou en pays dioula par exemple, leur véritable capacité a alors tôt fait de montrer ses limites ».

Des armées Africaines comment et pour quoi faire? Marc Fontrier, op. cit.


3 « Des armées incongrues pour des États non construits. Car l’État-nation occidental a cherché à imposer son modèle, à partir des années soixante, dans une impréparation totale à l’indépendance, tragique pour les jeunes États. D’autant plus tragique que ce concept européen s’est imposé paisiblement, avec la complicité des élites locales, en faisant oublier qu’il était en réalité un modèle culturel étranger, apporté quelques décennies plus tôt à des groupes ethniques disparates, par le trait de plume du colonisateur. Dans son prolongement, l’organisation des jeunes armées qui a accompagné l’exercice a mis en place des structures vides d’authenticité qui sont rapidement devenues les imitations indigentes d’un modèle importé, des structures qui n’avaient pas vocation à établir avec leur peuple le lien mystique et culturel qui relie l’homme à son passé et à celui de ses semblables ».

Des armées Africaines comment et pour quoi faire? Marc Fontrier, op. cit.


4 Voir à sujet les rapports des groupes d’experts du conseil de sécurité des Nations Unies sur la question.

https://www.un.org/securitycouncil/sanctions/1533/panel-of-experts/expert-reports


5 « Ainsi, sur le continent africain où le sentiment national dépasse difficilement les chaleureuses exubérances d’un succès sportif, est-il aujourd’hui encore difficile d’entrevoir le lien mystique qui devrait unir un peuple et son armée. La base de l’édifice national est fragile. Bouvines n’a pas encore eu lieu, Valmy parfois, encore que intra limes. Quant aux héros africains, ils sont d’une histoire ancienne; aucun Samory Touré, aucun Soundiata Keita, aucun Shaka n’éclaire le moment des indépendances. »

« Pire, on observe un refus, par les intéressés eux-mêmes, de chercher dans leur propre mémoire les éléments culturels qui, transcendant les différences, auraient permis d’esquisser un sentiment national. »

« Pas d’indépendance, pas de pensée souveraine, une nouvelle alternative où le continent était absent de lui-même. Pas d’authenticité. Sans étincelle pour mettre la vie à ces corps aberrants, tout le reste est demeuré factice, au premier chef la construction militaire, celle qui a le plus besoin de fonder son existence sur les mythes de la terre et du sang. »

Des armées Africaines comment et pour quoi faire? Marc Fontrier, op. cit.

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Dernière publication : 16/04/2024