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Racisme, oppression et lutte anti raciste (1ère partie)

1ère partie


De par sa place centrale dans le combat de la diaspora africaine à travers le monde, le racisme est un phénomène qui mérite une attention particulière.
Le racisme envers les populations africaines, particulièrement celui qui, depuis l’esclavage, a fait l’objet d’une construction intellectuelle, ayant produit une abondante littérature.
C’est cette littérature qui continue de nourrir les préjugés et stéréotypes présents dans presque toutes les narrations écrites ou orales en Occident et qui affectent profondément la vie des Africains depuis plusieurs siècles.

Les moyens et méthodes utilisés pour le combattre dépendent beaucoup de notre compréhension de ce phénomène.

Le racisme est un système d’oppression qui utilise les différences raciales ou ethniques pour instaurer une hiérarchie entre les groupes humains afin de diviser les groupes opprimés et justifier leur exploitation socio-économique.
Il constitue le socle idéologique de la domination occidentale; idéologie qui prônait la supériorité raciale blanche sur les peuples inférieurs à « civiliser ». Ce « fardeau de l’homme blanc » a servi de prétexte pour fonder et étendre l’empire colonial.
L’oppression est l’acte social qui consiste, généralement, en l’imposition de sévères contraintes sur un individu ou une communauté, de la part d’une institution, d’un gouvernement ou d’une organisation politique, dans le but de les exploiter et de les rendre moins aptes à la compétition pour l’acquisition des ressources de la terre. Ces contraintes impliquent la dévalorisation et la privation des droits du groupe opprimé.1
Dans sa dimension institutionnalisée, le racisme est la normalisation et la légitimation à travers des mécanismes politiques économiques et juridiques des relations qui fonctionnent à l’avantage des personnes de race blanche, dont les membres reçoivent un traitement préférentiel au détriment des autres groupes ethniques : noirs, indiens, arabes etc. ce qui permet de renforcer les inégalités nées du passé qui se reproduisent de façon presque naturelle dans le présent.
Le racisme comme système, n’implique pas que tous les membres du groupe dominant adhérent dans leur totalité à l’idéologie raciste, car bien des membres des sociétés occidentales se sont élevés contre l’expansion coloniale et le racisme.

Toutefois, l’existence des non racistes du groupe dominant ne change rien au fonctionnement du système et n’affecte pas la réalité de l’oppression et de l’exploitation des Africains. Les Occidentaux, qu’ils soient racistes ou non, bénéficient collectivement des privilèges obtenus grâce à l’exploitation des peuples dominés.
Il n’exclue pas, aussi le fait, que les membres des groupes dominés puissent, moyennant des privilèges, être associés à l’exploitation de leur groupe d’appartenance. Les tirailleurs sénégalais, les policiers sous le régime de l’apartheid obéissaient aux ordres et torturaient leurs compatriotes, même s’ils étaient, eux aussi, victimes de discrimination De la même façon qu’aujourd’hui, des chefs d’Etats africains, des hommes politiques, des académiciens et des hommes d’affaires servent, en toute connaissance de cause, les intérêts du système.
Si le racisme se sert des préjugés, ces derniers ne suffisent pas à rendre compte de toute sa réalité comme système d’oppression. Ils peuvent concerner des membres partageant les mêmes origines et caractères physiques ou raciales.

Si des agressions individuelles peuvent êtres motivées par la haine raciale, elles ne s’intègrent pas toutes dans un contexte général d’exploitation économique. De même que la séquestration de quelques patrons par des ouvriers en colère ne change pas fondamentalement la nature des rapports entre le patronat et les travailleurs, de la même façon que les femmes ne sauraient être accusées de sexistes dans un monde encore dominé par les hommes.
C’est dire que sans pouvoir institutionnellement organisé, sans le soutien manifeste ou tacite de ce dernier, le racisme n’a que peu d’impact sur les personnes à grande échelle. Oui, le racisme se nourrit des préjugés, et si le groupe dominant a besoin de boucs émissaires pour diviser les opprimés, par la stigmatisation de certains groupes sociaux, c’est généralement pour mobiliser l’énergie des populations afin d’obtenir leur adhésion dans leurs différentes entreprises d’expansion ou de consolidation de leur hégémonie économique.

Le racisme est donc fondamentalement une manifestation de l’Oppression, ce que l’on a souvent tendance à oublier, qui ne se traduit pas forcément par la haine. Le sentiment de supériorité, peut s’exprimer par une sorte de condescendance envers des individus jugés comme étant inférieurs, parce qu’incapables de se défendre dans la vie, d’organiser leur existence par eux-mêmes. Ce qui justifie les différentes missions civilisatrices, technocratiques, et interventions militaro-humanitaires toujours  en cours.
La discrimination à l’égard des populations non-européennes, est en quelque sorte l’expression politique de l’idéologie raciste, par la mise en œuvre des mécanismes politiques, juridiques et économiques en vue de réduire la compétitivité des membres des autres groupes dans l’accès aux ressources de la terre, par la restriction de leur mobilité et de leur accès aux différents moyens, leur permettant de saisir les opportunités pour transformer ces rapports de forces.
Elle sert à maintenir la distance socio économique avec les non-européens. Elle peut se traduire par l’isolement, le confinement géographique et/ou matérielle des membres des groupes non-occidentaux (bantoustans, ghettos, banlieues, réserves, camps de réfugiés et prisons), par la limitation de leurs mobilité (visas).
C’est aussi par la discrimination que l’on restreint aux membres des groupes dominés l’accès aux logements décents, à l’éducation, au travail, au prêt bancaire, aux soins de santé, ainsi qu’à tous les mécanismes et services qui permettent le plein épanouissement de leurs potentialités et qui finit par les exclure à la pleine participation au fonctionnement de la société. Ils doivent être constamment maintenus dans des conditions de fragilité permettant de perpétuer leur soumission.

Le racisme dont souffrent les Africains n’est pas assimilable à l’oppression des « minorités ». Nous ne sommes pas minoritaires sur la terre. Les « minorités » opprimées des pays occidentaux ont, non seulement profité des privilèges acquis par l’exploitation des peuples non européens, mais elles n’ont jamais remis en cause, le système d’oppression qui maintient ces peuples dans la servitude. Les blancs ne sont pas majoritaires en Afrique du Sud, ni dans le reste de l’Afrique ou de l’Amérique du Sud et pourtant, ils n’y souffrent d’aucune pratique discriminatoire liée à leur statut. Et dans les pays africains où ils résident, non pas en tant qu’immigrés, mais comme expatriés, ils peuvent vivre repliés sur eux mêmes, fréquenter leurs propres écoles, et la maitrise de quelques mots des « dialectes » locaux suffit à faire d’eux des héros. Et ils ne sauraient, bien évidemment, être soumis à aucune obligation d’intégration.

L’analyse historique et politique du phénomène du racisme comme composante du dispositif de la domination occidentale, permet de voir sa permanence dans les relations entre Européens et Africains à travers l’esclavage, le code noir, le régime de l’indigénat, la ségrégation raciale, l’apartheid, jusqu’aux « dérives de l’ère post raciale ».
Comme expression de la domination, le racisme prend des formes différentes, s’adapte en fonction du contexte, des enjeux ou de la résistance. Il peut passer d’une phase de répression la plus ouverte, à des rapports de respects sincères ou simulés, tant qu’ils ne menacent pas le statu quo.

Comme l’a si bien dit Florence Kennedy « une fois que le système oppressif a été institutionnalisé, les individus n’ont plus besoin d’être oppressants ».2

Ainsi, le racisme ne se réduit pas à des insultes et offenses isolées, il s’intègre dans un contexte de domination global. L’absence même de propos racistes n’empêche pas la perpétuation de la domination occidentale sur nous, Africains. Les « racistes » les plus dangereux du système ne sont donc pas ceux qui profèrent des propos insultants, mais ceux qui, sourire aux lèvres, œuvrent quotidiennement, à maintenir le peuple africain dans des conditions déshumanisantes.
Mais, quelle que soit sa forme, l’idée de la hiérarchie des races demeure la constante qui transparaît dans les rapports de subordination, d’exploitation et des inégalités de traitement.
C’est pourquoi d’importants moyens financiers et humains sont investis pour que la machine à fabriquer les stéréotypes puisse stigmatiser, ostraciser, dénigrer, les membres des autres groupes. Ce système d’exploitation, longtemps maintenue, finit par transformer les populations opprimées en loques. La propagande, en mettant systématiquement la lumière sur les conditions de vie dégradantes imposées par des décisions politiques, cherche à persuader que leur état actuel serait l’expression de leur mode de vie ancestral, ou les conséquences de leurs travers moraux et non le résultat de siècles d’oppression et de maltraitance.

L’invalidation scientifique de la race en tant que notion biologique, n’efface pas pour autant les différences physiques entre les membres de l’espèce humaine et n’empêche pas sa persistance en tant que réalité socio politique. D’autant plus que l’entreprise coloniale ne reposait point sur la science, mais sur une volonté d’hégémonie qui a soumis la science aussi bien que la religion à ses ambitions.

Il faut aussi se rendre à l’évidence que le fondement fallacieux d’un système ne l’empêche pas de fonctionner correctement, dès l’instant qu’il génère des profits.

La notion de race est à la base d’un système de pouvoir qui structure les rapports sociaux, modèle les attitudes et comportements envers les autres groupes humains, identifiables par leur apparence physique indépendamment de leur état civil et sert à légitimer toutes sortes d’injustices.

N’est ce pas le racisme qui explique qu’on ait souvent besoin de recourir à la discrimination positive pour tenter de corriger les inégalités qui les séparent, que ce soit hors du continent, africain (ex Etats Unis) ou sur le notre propre (Afrique du Sud) ? Et partout ailleurs, en Afrique, là ou sévit l’oppression néocoloniale, les populations y sont soumises à des programmes de renforcement de leurs capacités par les nombreuses ONG.
 
Par quel processus, ces populations se sont-elles retrouvées privées de leurs « capacités » de construire leurs institutions, de satisfaire leurs besoins et de résoudre leurs conflits ? A moins qu’elles n’aient jamais été dotées de telles capacités, leur infériorité étant ainsi subtilement sous entendue.

 
N’est ce pas le racisme qui explique la pratique quasi systématique du contrôle de faciès ? Ce contrôle sélectif, au delà de la stigmatisation des étrangers, ne permet-il pas de favoriser les criminels « de race blanche », en les faisant passer plus facilement entre les malles des filets de la police, et partant, de la justice et de ne pas remplir ainsi les prisons ?

N’est ce pas le racisme qui explique les nombreuses « bavures policières » contre les étrangers, dont les auteurs restent dans la majorité des cas impunis ?

N’est ce pas le racisme qui permet de tolérer l’existence dans presque l’ensemble des pays occidentaux, de nombreux « groupuscules » plus ou moins violents, organisés autour d’idées suprématistes et de la haine de l’Autre ?

N’est ce pas le racisme qui explique que, lorsque des Occidentaux sont accusés de crimes et arrêtés dans des pays non-occidentaux, l’on mette l’accent sur les déficiences de leurs institutions judiciaires, les soupçonnant d’être corrompues et qualifiant leurs procédures d’arbitraires ? Le manque de fiabilité La corruption de ces institutions n’affecterait-elle donc point la validité des alléchants contrats et concessions accordés aux multinationales ou les accords de partenariat entre Etats ?

N’est ce pas le racisme qui empêche les Occidentaux de s’excuser pour les crimes commis contre les Africains, que ce soit pendant l’esclavage, la colonisation ou l’Apartheid ?

 
Ainsi, même si la race n’a pas de pertinence scientifique, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle revêt une importance sociale et politique incontestable. Elle a surtout permis aux Occidentaux de mobiliser les énergies autour d’un projet politique fondé sur une communauté d’intérêts économiques, financiers et sociaux.

 
Elle est à la base d’un système de pouvoir qui structure les rapports sociaux, modèle les attitudes et comportements envers les autres groupes humains, identifiables par leur apparence physique, indépendamment de leur état civil et sert à légitimer toutes sortes d’injustices.

 
Elle est, en ce sens, une réalité que l’on ne saurait considérer comme une simple vue de l’esprit et balayer d’un simple revers de main, mais qu’il nous faut plutôt intégrer comme un élément déterminant de notre résistance politique.


Suite...


Notes
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1 The Social Work Dictionary, ed. Robert L. Barker defines oppression as: "The social act of placing severe restrictions on an individual, group or institution. Typically, a government or political organization that is in power places these restrictions formally or covertly on oppressed groups so that they may be exploited and less able to compete with other social groups. The oppressed individual or group is devalued, exploited and deprived of privileges by the individual or group which has more power." (Barker, R. L 2003)

 2 When a system of oppression has become institutionalized it is unnecessary for individuals to be oppressive. Florynce Kennedy - "Institutionalized Oppression vs. the Female" in Sisterhood Is Powerful, Robin Morgan, ed. (1970)

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Dernière publication : 16/04/2024