Reflexion sur la récente crise au Sénégal
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La question de la souveraineté nationale ne concerne pas seulement « la classe politique », elle interpelle l’ensemble des sénégalais toutes générations confondues que l’état néocolonial confine encore au statut d’indigènes.

Les maux de notre démocratie sont les maladies infantiles des institutions coloniales qui se sont aggravées : le clientélisme, la transhumance, les violences entre partisans, l’utilisation des autorités religieuses pour le contrôle et l’endoctrinement des populations. Tous ces éléments déjà présents durant la période coloniale, sont devenus plus sophistiqués après « la décolonisation ».

Ce système qui confine le continent Africain au rôle de fournisseur de matières premières et de main d’œuvre à bon marché, explique le caractère embryonnaire du tissu industriel de la majorité de nos pays, qui se réduit essentiellement aux industries les plus nocives, aussi bien au niveau économique qu’environnemental, la faiblesse de la création d’emplois et la croissance de la pauvreté.

Les différents mécanismes que sont l’asservissement par la dette, la privation des populations à l’accès aux services sociaux de base et leur exploitation les maintiennent dans un état de vulnérabilité indigne de leur Humanité. La réduction de leur chance de survie les contraint bien souvent à choisir entre la servitude et la misère.

L’investissement étranger que nous considérons comme une nécessité pour le développement de l’Afrique, répétant sottement les théories économiques, fait partie de ce système de dépendance.
Il ne saurait conduire au progrès de nos pays s’il ne s’insère dans aucun véritable projet de rupture avec la dépendance néocoloniale.
 
Nous, Africains, avons dans l’ensemble accepté notre « appartenance » à l’empire colonial, qui nous a asservis, en admettant que la légitimité politique, la crédibilité académique, les critères de succès, et les sources de prestige, soient ceux validés par des institutions étrangères.
 
Ce sont les autres qui désignent ceux qui parmi nous méritent d’être écoutés, ceux qui ont de « l’influence », notent et évaluent nos performances économiques et politiques, choisissent parmi nos célébrités celles qui serviront d’ambassadeurs pour les changements sociaux et culturels dans nos pays.
De la même façon que nos matières premières sont transformées par les pays industriels, la « matière grise » du continent subit le même sort. Les Africains les plus « éduqués » sont des collecteurs de données et d’informations qui seront traitées et analysés sous formes de rapports, livres, articles, qui vont servir à renforcer les capacités décisionnelles des différentes institutions occidentales, parce que nous n’avons pas d’agenda qui nous soit propre.
 
Les Africains sont les seuls qui éduquent leurs enfants pour servir les autres peuples dans leur propre pays et, qui les « encouragent » sur le chemin de l’émigration pour aller les servir chez eux.
Sommes-nous condamnés à voir nos enfants vivre de petits boulots dans nos propres pays et laisser les autres conduire les grands projets ?
 
C’est bien s’habituer à la servitude, que de nourrir comme plus haute ambition pour nos enfants, non pas qu’ils puissent contribuer à changer le destin de leur pays et continent, mais de les former afin qu’ils puissent être au service de l’expansion des entreprises étrangères, et de la consolidation des institutions qui permettent de pérenniser la domination de notre continent.
 
Que ferons nos enfants que l’on forme pour être employés par les entreprises étrangères quand ces dernières ne pourront plus leur en offrir ? Cet état d’esprit signifie que nous avons renoncé à défier l’ordre dominant actuel ; que nous avons accepté que le règne des actuels « les maitres du monde » sera permanent et qu’ils continueront toujours de nous dominer, de nous prendre en charge.
 
C’est se manquer de respect, que de considérer comme « grands », des pays qui depuis plusieurs siècles se hissent sur le dos de son peuple, sa communauté, exploitant son labeur, ses sols et sous-sols.
Une classe dirigeante ne saurait concevoir la « stabilité politique et sociale » dans un environnement de servitude pour la simple raison qu’elle permettrait d’attirer les investissements étrangers, fut-ce au prix de la misère endémique, l’insécurité et la déshumanisation de son peuple.
 
Cette dépendance forcée a conduit à installer la culture de l’assistanat qui est le signe que nous avons renoncé à prendre en main notre destinée.
 
Ce qui vaut au niveau individuel vaut à l’échelle des nations. Nous ne pouvons pas vivre de la mendicité qu’elle soit déguisée, sous les termes de recherche, de partenariat ou d’attirer les investisseurs étrangers n’y change rien.
 
N’est–ce pas ce manque de respect de soi qui s’exprime à travers ces violences intestines, ces abus de pouvoir, exactions policières, ces patients délaissés sans soins faute d’argent, ce sentiment d’intolérance généralisée « cette haine de soi » qui se tourne souvent contre ses propres compatriotes ?
N’est–ce pas ce qui explique cette extrême légèreté pour ne pas dire l’irresponsabilité qui fait que nous nous sommes habitués à des scandales qui devraient durablement heurter nos consciences : du naufrage du Joola, aux bébés brulés dans un incendie, sans oublier la circulation routière chaotique. Nous pouvons produire tous les discours sur nous, nos valeurs et notre foi, les faits démontrent à souhait que nous accordons peu d’importance à la « vie humaine » et à la Vie tout simplement.
C’est cette condition qu’il nous faut défier et ce n’est pas en s’attaquant aux symboles français, aux entreprises étrangères ou en perdant notre énergie dans la haine envers les autres peuples que l’on y mettra fin. Il est temps de s’atteler, de façon résolue, à construire nos propres infrastructures et institutions économiques, rétablir nos liens communautaires et renouer avec la tradition de bâtisseurs de nation.
 
Tant que nous serons dans cette situation de fragilité, exposés à la pauvreté, nous serons à la merci de la violence et de l’exploitation de n’importe quel peuple.
 
Nous prêtons plus d’attention aux individus qui « dirigent » nos pays, et pas suffisamment à la nature de l’infrastructure économique, sociale, administrative et intellectuelle derrière ces « inconnus » qui se « présentent » à nous, ou « nous sont présentés », pour solliciter notre « confiance », afin d’exercer la fonction présidentielle.
Nous continuons de porter nos espoirs sur des individus et non pas sur le peuple.
Il faut bien être conscient qu’aucun homme ne saurait à lui seul nous sortir de cette condition servile.
Les populations doivent elles-mêmes être convaincues que leur pays leur « appartient », qu’elles ne sont pas de simples sujets à exploiter, que les classes dirigeantes respectent les populations en leur fournissant les services fondamentaux.
Nous ne devons plus accepter d’être traités comme des citoyens de second rang dans notre propre pays, par des autorités qui montrent plus de bienveillance envers les étrangers qu’envers leurs propres concitoyens.
Peut-il y avoir une démocratie avec des sujets ? Peut-on construire une nation prospère avec un peuple, où dans la majorité des cas, on ne s’organise presque plus, que pour capter les subventions et dons en provenance de l’étranger, ou des politiciens locaux ?
 
Peut-il y avoir progrès dans une société où règne, la culture de l’assistanat, dans une société où les populations ont été convaincues de leur pauvreté et pire encore, de leur impuissance ?
 
Une société dans laquelle on peut sans scrupules trahir l’Etat, sa communauté et compromettre l’avenir de ses descendants en échange de confortables salaires et de privilèges ?
 
Le peuple doit avoir une vision lucide de ce qu’est « l’intérêt commun », lequel ne doit pas être confondu avec les intérêts individuels ou corporatistes au risque de devenir complices de l’état de paupérisation générale qui ne les épargne pas.
Si la « souveraineté  « appartient au peuple », ce dernier doit être « conscient » de son pouvoir, et le renforcer en se débarrassant de toutes sources de divisions. La première source de pouvoir est la connaissance, il ne saurait y avoir de pouvoir dans l’ignorance.
 
Nous pensons que la paix devrait être l’affaire de tous, même si nous avons des agendas différents.
 
Il nous faut retrouver notre sens communautaire, en refondant une véritable culture de solidarité, loin de ce repli individualiste qui ne saurait garantir ni notre prospérité collective ni assurer notre sécurité et nos libertés individuelles.

C’est jouer avec le feu que de continuer dans cette logique de destruction de l’esprit, en condamnant des populations soumises de façon constante au stress causé par la lutte quotidienne pour la survie, à vivre dans un environnement caractérisé par l’absence de centres de loisirs, de lieux de recréation dignes de ce nom, d’espaces verts, leur capacité à se régénérer, se reconstruire, faire face avec lucidité au stress causé par l’âpre lutte injustement imposé au peuple pour la survie quotidienne.

Les ressources naturelles ne font pas la richesse d’un pays, notre véritable richesse c’est notre esprit, notre conscience critique, qui nous permet de comprendre notre condition dans le monde dans lequel nous vivons, notre désir d’élévation, nos aspirations de liberté et de justice. C’est cette conscience qui nous permettra d’insérer l’exploitation de nos ressources dans un véritable projet politique et social libérateur.

Le pouvoir d’un peuple ne réside pas dans sa capacité à mettre un bout de papier dans une urne. Il est dans sa conscience à exprimer par ce geste sa volonté de prendre en main son propre destin, à vivre pleinement son humanité. Cette volonté doit être visible dans les différentes tentatives de ce peuple pour résoudre collectivement les problèmes auxquels il fait face, de retrouver la souveraineté sur son pays, dans sa détermination à vivre debout. Notre pouvoir, devrait résider dans la claire conscience de condition, de notre volonté de retrouver notre autonomie économique et le brûlant désir de Liberté, de changer les conditions sociales et politiques dans lesquelles nous vivons.

Sans une véritable économie nationale, sans politique d’industrialisation ni tissu commercial intégré et adapté à nos besoins, dans quelles entreprises comptent-ils faire employer leurs enfants ? Celles détenues par des multinationales étrangères ?

Si nous admettons que l’état néocolonial existe d’abord et surtout pour sauvegarder des intérêts étrangers au détriment de ceux nationaux, en l’absence de toute contestation, de la domination étrangère, la faillite du leadership et de l’état ne devrait pas nous surprendre, parce qu’elle est une conséquence logique de la vassalité.

De quel pouvoir pourraient disposer des dirigeants chargés d’assurer la continuité des institutions qui ont organisé l’asservissement de leurs populations ? 

De tout temps, les empires ont régné en s’appuyant sur les leaders des peuples conquis. La trahison des classes dirigeantes est loin d’être une particularité Africaine, elle s’inscrit dans la logique de l’impérialisme.

Les pays dits « riches » ne sont pas mieux gouvernés du fait d’une éthique dont seraient dépourvus les pays pauvres, leurs performances résident dans leur volonté de maintenir leur statut de dominants à travers des politiques impérialistes.

C’est même faire preuve d’incohérence que d’attribuer une éthique à des pays dont la richesse repose grandement sur l’agression, la déstabilisation, le pillage des pays et l’exploitation des peuples et qui, pour cacher la nature illicite et violente de leur richesse, nous ont imposé une division neutre du monde, celle entre « pays riches et pays pauvres » ; division qui occulte le processus par lequel des pays initialement pauvres se sont enrichis sur le dos de pays riches.

Nous ne pouvons pas, dans ces conditions, continuer de pointer le doigt sur les dirigeants.

La mal gouvernance et la corruption des classes dirigeantes une règle dans tout pays vassal d’un empire, elle n’est liée ni à la couleur de la peau, ni à l’ethnie. Bon nombre de pays européens sont des vassaux de l’empire Américain.

Ceux parmi les dirigeants Africains, dotés de la volonté sincère de servir les intérêts de leur peuple et qui ont essayé de sortir leur pays de la dépendance, ont été éliminés par ceux-là mêmes qui nous chantent les vertus de la bonne gouvernance, sans aucune réaction des populations. Les dirigeants qui résistent demeurent sous pression, les autres, dans leur majorité, ont choisi leur camp et décidé de servir des intérêts étrangers.

Chez tous les peuples du monde, ceux qui ont donné une direction nouvelle à l’histoire de leur pays n’étaient pas tombés du ciel. Ce sont ceux qui, parmi eux, révoltés par la condition de leur peuple, au lieu de se plaindre d’avoir des dirigeants corrompus, ont décidé de prendre leurs responsabilités, afin de contribuer positivement au changement dans leurs sociétés respectives.

Nous préférons rejeter la faute sur « nos » dirigeants pour ne pas engager un combat qui doit être celui de tous.

Pouvons-nous exiger des dirigeants africains qu’ils servent nos intérêts, alors que nous sommes occupés au niveau individuel, à servir ceux de l’empire ? Que notre intelligence, nos talents et notre courage, sont mis au service des plus « forts » ?

Le peuple ne doit plus commettre l’erreur de laisser la politique aux « professionnels ». C’est laisser à des individus, qui bien souvent ne sont pas mieux éclairés que le reste des citoyens, le pouvoir de décider de leur place dans la société, de la qualité de l’eau qu’ils vont boire, la qualité de l’air qu’ils respirent et de l’avenir de leurs descendants.

Le leadership dépend pour une grande part, de l’environnement socio-culturel au sein duquel il est « produit », du projet de société de la vision du monde qui le sous-tend.

Nous pensons donc, contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, que c’est plutôt en raison de l’absence d’hommes forts capables de s’opposer à la domination étrangère qu’elle subit depuis longtemps que l’Afrique voit ses ressortissants être utilisés par ceux qui ont le pouvoir de leur faire servir leurs intérêts et agendas.

Si la fragilité de nos institutions résulte du manque de loyauté de ceux qui nous dirigent envers le pacte de confiance qui nous lie, ou est censé nous lier, comment rétablir cette confiance sans des hommes forts, sans des hommes d’honneur ?

Le rôle des institutions est de renforcer les valeurs et principes auxquels on croit. Cela implique d’avoir le « pouvoir » et la capacité d’inscrire ces derniers dans nos pratiques politiques et sociales, dans la durée, si nous ne voulons pas que d’autres nous imposent les leurs.

N’est-ce pas à travers les institutions qu’ils mettent en place, que les Occidentaux nous imposent leur législation, leurs politiques économiques, sanitaires, agricoles, éducatives, nous imposant ainsi leur vision du monde ?

La force de toute institution réside dans la capacité de ceux qui les ont construit, de sanctionner socialement, non pas juridiquement, ceux qui contreviennent aux principes, valeurs et intérêts qu’elles sont censées défendre.

Quels sont les sanctions sociales contre ceux qui bradent nos ressources nationales, trahissent l’intérêt du pays, s’enrichissent sur le dos du contribuable, ceux qui soutiennent l’agenda de pays étrangers ? A l’instar de cette classe d’intellectuels agrée par le système, qui s’obstine contre toute évidence de nous convaincre de la fin de la « Françafrique ».

Nous lynchons les petits voleurs au risque de leur ôter la vie, ostracisons et excluons les anciens prisonniers toute leur vie durant, et pardonnons aux politiciens, intellectuels corrompus et admirons même les politiciens, intellectuels corrompus qui servent les intérêts d’autres nations. Ces derniers sont-ils accueillis avec mépris et dédain dans les réunions de famille, les différentes cérémonies ou font-ils l’objet d’admiration ?

On peut considérer que le respect des institutions n’est que l’expression du respect de soi, en tant que membre d’un groupe, d’une communauté, en tant qu’individu porteur d’un héritage socio-culturel et historique digne d’être préservé.

Le fondement de toute éthique politique comme de tout développement économique est l’indépendance et la volonté de se libérer de toute sujétion à une puissance étrangère ; car il ne saurait y avoir de morale dans la sujétion, l’oppression et l’exploitation.

Les Africains n’auront jamais de dirigeants loyaux tant que les Africains n’auront pas choisi de vivre libres. L’éthique, la probité morale s’accommodent mal à  l’asservissement.

Continuer de dépendre économiquement des autres communautés humaines, d’être sous leur tutelle intellectuelle, nous évaluant selon leurs critères signifie, d’une certaine façon, l’acceptation de la « mort » sociale et culturelle d’une communauté, d’un peuple qui a renoncé à être le centre de son univers, d’être son propre soleil.

Nous devons reprendre le contrôle de notre économie, de nos sociétés et renouer avec cette haute et noble mission humaine consistant à paver, par nos propres efforts, le chemin de son notre aventure terrestre.


Références bibliographiques 


Pour une Afrique Debout : Discours idéologies et résistances, E-book, Sidya Diop, éd. Seven Saara

Elections en Afrique à quand la victoire du peuple ? E-book, Sidya Diop, éd. Seven Saara

Lettre ouverte au peuple sénégalais, E-Book, Sidya Diop, éd. Seven Saara


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Dernière publication : 16/04/2024