Le Sénégal, un modèle démocratique ou un modèle de servitude à l’ordre néocolonial ?
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Le 20 mars prochain le Sénégal compte organiser un référendum relatif à un projet de réforme constitutionnelle. C’est l’occasion, pour nous, de dénoncer cette grossière farce à laquelle les dirigeants africains nous ont habitués depuis les indépendances africaines ; à savoir l’art de tout changer autour de nous pour que le statu quo demeure.

Le débat national, au Sénégal, est de façon récurrente accaparé par des sujets des plus banals qui concernent très souvent des réformettes institutionnelles, sans impact majeurs sur le quotidien des populations et qui reçoivent une ampleur exagérée.
Les discussions stériles sont devenues le passe temps favori de la classe dirigeante sénégalaise, dans un pays qui tire une grande fierté d’être considéré comme un modèle de démocratie en Afrique. Un titre qui lui a été gracieusement accordé par les grandes démocraties autoproclamées, celles qui, sans aucun scrupule, n’hésitent pas à sacrifier la vie d’innocentes populations pour imposer cette démocratie par la violence. Cette flagrante incohérence ne semble point gêner la classe dirigeante de notre pays qui manque cruellement de confiance en elle. Il faut vraiment avoir peu d’estime de soi pour vouloir prendre des oppresseurs pour modèle.

La puissance de ces « démocraties » repose principalement sur la destruction des libertés des peuples qu’elles ont conquis et de l’accaparement de leurs ressources économiques.

Au Sénégal, nous considérons la conformité aux vœux des « maîtres du monde » et le mimétisme de leurs pratiques institutionnelles et culturelles comme preuve de notre entrée dans le modernisme. Nous faisons nôtres leurs priorités sans cesse changeantes et nous accaparons de toutes leurs préoccupations, alors que nous n’avons su relever aucun de nos défis.
Tout est prétexte pour compromettre durablement la liberté de notre nation par l’endettement excessif, et confiner nos populations à n’être que des consommateurs de produits importés.
Et pourtant, il est aisé de se rendre compte que plus nous nous « modernisons », plus nous nous enfonçons dans la misère.

Le pays semble se complaire dans un système remplit de contradictions qui révèlent une confusion profondément ancrée, d’autant plus qu’elles sont soutenues par les narrations censées fonder la fierté du peuple sénégalais.
L’idéologie dominante nous a imposé des antis modèles comme référence, en nous présentant comme d’illustres exemples, des hommes politiques qui bien avant notre « indépendance » et à des degrés plus ou moins élevées, ont collaboré avec le colonisateur en lui accordant soutien politique, économique, militaire ou autres.

Depuis cet homme politique réticent à l’auto détermination des africains qui a battu campagne pour recruter des tirailleurs afin de défendre le pays qui maintenait son peuple dans la servitude et dont le plus grand mérite est d’avoir été « le premier député noir » à servir au sein d’une institution fondée par les oppresseurs de son peuple ; à celui qui a organisé le procès d’un autre frère Africain à qui on avait accordé l’asile politique ; en passant par ce célèbre poète qui considérait les atrocités de la colonisation comme une nécessité et celui qui, après s’être mis à genoux et avec lui, sa nation toute entière, devant les institutions financières internationales qui nous ont imposé les fameux programmes d’ajustements structurels, exigeait de son peuple un « sursaut national », alors qu’il n’a su lui-même faire montre du moindre sursaut nationaliste ; sans oublier ce « panafricaniste » libéral qui a ouvertement soutenu l’agression de pays frères par les forces impérialistes.

Dans ce pays, où, même les « Signares » qui n’étaient que les courtisanes des administrateurs coloniaux sont élevées au rang d’illustres femmes enviées.

C’est dire que les graines de la perte des valeurs que l’on décrie chez les jeunes générations actuelles, ont apparemment été semées dans le passé par des adultes qui étaient dans la confusion.

Depuis les indépendances, notre stratégie politique consiste fondamentalement à chercher à plaire aux « maîtres du monde », fut-ce au détriment du bien être, et de la liberté de nos populations, ainsi que de la solidarité inter-africaine.

Le Sénégal ne serait-il pas plutôt un modèle de servitude volontaire à l’ordre néocolonial ?


Notre large présence au sein des institutions internationales résulte t-il de la qualité de nos ressources humaines ou tient-il à notre loyauté à l’ordre colonial?

Comment peut-on éprouver de la fierté à servir des institutions et entreprises qui n’appartiennent pas à son peuple et qui ne servent pas les intérêts de ce dernier ?

N’est ce pas à notre promptitude à obéir aux désirs et plans des « maîtres du monde » que nous devons notre relative stabilité ?

A plusieurs reprises nous avons fait preuve de notre entière collaboration à l’agenda défini par les puissances qui dominent le monde et avons soutenu le despotisme néolibéral.
Seul un peuple qui n’a pas conscience de lui-même, de son Histoire, peut accepter la domination jusqu'à considérer comme un signe de réussite le fait d’être au service des « plus forts  du moment ».

De la même façon qu’hier, les tirailleurs étaient prêt à mourir pour défendre « la mère patrie » qui les assujettissait et dont ils brandissaient fièrement leurs médailles, aujourd’hui encore, beaucoup d’Africains sont fiers de servir les oppresseurs de leurs peuples et de recevoir les « honneurs » de ceux qui bien souvent, se sont hissés au sommet de leurs pays à force de trahisons et de coups bas.

Admirer et servir l’Oppresseur, n’est ce pas admirer et servir l’Injustice ? Comment peut-on d’un coté soutenir la politique internationale de pays qui par la violence meurtrière de leurs guerres de prédation économiques causent la souffrance de millions d’individus et de l’autre, prétendre œuvrer pour la paix et la justice sociale à l’intérieur de ses frontières ?

Est ce un hasard si le Sénégal a toujours manqué d’audace politique en Afrique, là où beaucoup de pays frères ont fait preuve d’un sursaut de dignité et ont tenté avec plus ou moins de succès d’échapper à l’emprise du joug néocolonial ?

Nous considérons l’accession éphémère aux postes le plus élevé de l’appareil d’Etat néocolonial comme le sommet du pouvoir. Il nous faudra inévitablement revoir notre conception du pouvoir pour sortir de notre condition.
Notre relation traditionnelle à un pouvoir moderne ne favorise t-il pas la tendance autocratique chez nos dirigeants ?
Si les gouvernants sont « choisis par Dieu » les gouvernés quant à eux seraient-ils choisis par le Diable ?
Le pouvoir appartient au peuple, et un pays ne saurait appartenir à des dirigeants temporaires.

Mieux comprendre la nature du pouvoir, ses modalités d’acquisition et d’accumulation permettraient de rendre équitable son exercice.

Il nous faudra réfléchir davantage sur le pouvoir, en insistant non pas sur sa dimension en tant qu’autorité temporaire d’un individu ou d’un groupe d’individus sur le reste des sujets, mais en tant qu’expression de la Puissance, la Force collective d’un peuple, d’une Nation incarnée par un individu ou un groupe d’individus à la tête de l’appareil d’Etat.

C’est ce Pouvoir qui fait qu’une simple Organisation Non Gouvernementale Occidentale puisse menacer la sécurité d’un Président Africain. Et c’est son absence qui explique que les fils d’une nation forte de plus d’un milliard d’âmes puissent être impunément maltraités et humiliés partout à travers le monde.

De quel pouvoir dispose un chef d’Etat, qui pour relancer l’agriculture de son pays, construire des écoles, aménager des infrastructures, défendre sa nation a besoin de l’aide des tiers.
D’où tire-t-il son prestige alors qu’il agit au sommet de l’Etat comme le plus vil des mendiants, faisant preuve d’une soumission manifeste à l’égard de ceux qui sont censés être ses « pairs » ? Comment peut-on bomber le torse et se considérer comme un véritable leader alors que l’on se soumet à d’autres hommes?
Le pouvoir comme capacité de prévision, de décision et d’impulsion de la politique nationale d’un pays s’accommode mal de l’Impuissance. C’est cette Impuissance qui explique la corruption généralisée des dirigeants africains, ce n’est point le pouvoir qui corrompt, c’est son absence qui jette nos « hommes de paille » à la merci des corrupteurs constitués par d’obscurs réseaux d’affaires transnationaux et, c’est l’accommodation à la servilité qui fait qu’elle se banalise et se généralise au sein des masses.

C’est cette Impuissance qui explique la médiocrité de la classe dirigeante Africaine en général, dont l’ambition suprême est de servir les « maîtres du monde » et non de renforcer le pouvoir de leurs Nations respectives. Faute d’audace et de sens de la dignité, ils préfèrent rejoindre le triste panthéon des dirigeants qui ont été plus petits que leurs fonctions. L’ambition de nos « élites » se limitent à occuper des fonctions de prestige quitte à avoir des réalisations médiocres ou nulles et non de laisser un impact sur leur société ou l’humanité.


C’est ce manque d’audace qui pousse nos dirigeants actuels à réduire la question nationale à de simples problèmes institutionnels, laissant les brûlantes questions qui affectent le quotidien des populations irrésolues depuis plus d’un demi-siècle.
Au Sénégal, la question fondamentale ne devrait pas se limiter à savoir si on doit voter « Oui » ou « Non », il s’agit plutôt d’exiger le respect du peuple sénégalais qui, depuis bien longtemps, n’a cessé d’être trahi pas ses fils qui bien qu’instruits semblent cruellement de manquer de lucidité. Car c’est manquer de discernement que de compromettre durablement l’équilibre de sa société en menaçant la survie d’un héritage millénaire.


C’est être bien naïf que de ne pas comprendre que la stabilité d’un pays repose moins sur le respect d’une constitution que sur l’attachement à l’intérêt national; que la loyauté à nos institutions repose fondamentalement dans la conscience d’une dignité à préserver, de valeurs communes à perpétuer et de libertés collectives à défendre ; et que dans un contexte d’asservissement général de l’Etat, la discussion sur l’indépendance d’un corps constitué n’a aucun sens.

L’organisation d’un référendum est un luxe quand on manque d’infrastructures médicales adéquates, quand il n’existe aucune bibliothèque dans les principales villes du pays à part celles créées par les missions culturelles des ambassades étrangères, que les salaires des personnels municipaux sont impayés plongeant leurs familles dans la précarité, que les paysans et les artisans sont presque économiquement étouffés.
Nous continuons de nous voiler la face, pensant qu’appliquer les recettes de ceux qui vivent des rentes générées par l’exploitation de la misère de nos peuples nous fera sortir de la longue nuit coloniale.
Comment peut-on se vanter d’une croissance portée principalement par des entreprises étrangères ?

Ces contradictions sont pour une grande part dues aux tares de notre système éducatif, qui particulièrement dans l’espace dit francophone nourrit la mentalité servile.

Le problème fondamental de l’éducation en Afrique, est sa désarticulation profonde d’avec la société, son inadéquation, aussi bien dans le contenu de ses programmes que dans ses objectifs, d’avec les conditions réelles des populations africaines.
Toutes les sociétés forment les hommes qui doivent maintenir leur équilibre et assurer leur pérennité par leur système éducatif. Nous, nous formons ceux qui vont contribuer à renforcer le pouvoir des sociétés de ceux qui conçoivent nos programmes scolaires.
De la même façon qu’hier, nos ancêtres réduits à l’esclavage mettaient leurs compétences à l’enrichissement de leurs maîtres, nous continuons aujourd’hui de mettre les nôtres au service de nos oppresseurs.
La plus grande ambition de notre jeunesse scolarisée, est bien souvent, de mettre leurs compétences au service de l’expansion des entreprises étrangères, de servir dans les institutions occidentales ; et non pas de mettre sur pied des institutions ou de créer des entreprises qui pourraient rivaliser avec les leurs.

L’éducation sans orientation idéologique ne suffit pas à changer le destin d’un peuple. Un esclave mieux formé et plus informé demeure toujours un esclave.
Le but de l’éducation est d’assurer la perpétuation des intérêts et valeurs d’un groupe déterminé, d’assurer leur survie mais pas d’aider à renforcer l’hégémonie de ceux qui ont déjà le contrôle exclusif de tous les leviers des pouvoirs politique, économique, militaire et médiatique et qui exercent leur domination sur nos existences
Il est nécessaire de repenser le contenu de nos programmes d’enseignement, si nous voulons faire passer le rôle de l’Ecole, d’un instrument de domination à celui d’un véritable outil de libération et de levier du progrès social. Il faudra pour ce faire, passer de l’Ecole Occidentale à l’Ecole Africaine. Parce que continuer à chercher à résoudre les problèmes de l’Afrique sans disposer d’« Informations Africaines » ne fera de nous que des « mercenaires de la pensée ».

L’éducation des jeunes doit leur permettre non seulement de s’adapter aux mutations futures du monde mais aussi et surtout, de créer le monde qu’ils souhaitent habiter, pas seulement à être obéissants. La tâche première du système éducatif et de la société toute entière est d’aider à façonner la personnalité capable de procéder aux changements souhaités, et de  résoudre les problèmes spécifiques qui se posent à nos sociétés.
L’instruction n’a pas en soi une vertu émancipatrice, sans une réorientation politique de notre système éducatif tournée vers l’aspiration à une veritable indépendance, nous continuerons à former des hommes inféodés aux intérêts étrangers.
Le but de l’école n’est pas seulement d’aider à trouver un emploi mais de donner les moyens  de renforcer le pouvoir de sa communauté.

C’est cette réorientation politique qui nous permettra d’interroger notre histoire et notre culture pour y trouver les réponses politiques, économiques, organisationnelles, thérapeutiques pour jeter les bases de notre modernité.

Le développement repose sur une dynamique de masse, qui passe nécessairement par l’élévation de la conscience politique des populations. Il requiert une meilleure compréhension du monde, de ses véritables enjeux et surtout de la nature du système oppressif qui nous maintient dans la pauvreté avec la complicité de ceux que nous appelons nos dirigeants. Cela ne saurait se faire sans mettre la domination néocoloniale au cœur du débat national. Il ne saurait y avoir de développement sans volonté de libération de toute forme de servitude. Continuer d’occulter la question de notre véritable libération ne fera qu’accélérer le processus de dislocation de nos sociétés et augmenter le nombre de victimes innocentes.

L’Afrique a besoin de véritables Indépendances.

La simple élection d’un vassal, aussi transparente et démocratique qu’elle puisse être, ne saurait suffire pour changer la condition d’un peuple asservi.

Pourquoi attendre la rupture de nos dirigeants alors que partout ailleurs les peuples se sont levés pour dire non à l’Oppression ?

Et si tout simplement le rôle de nos dirigeants était de nous maintenir dans la servitude ?

La Liberté se paie au prix fort, la Modernité est le fruit d’une longue conquête collective. Elle nait d’un élan, d’une ferveur endogène qui prend racine dans les profondeurs de l’âme d’un peuple et telle la lave d’un volcan en éruption, s’empare du cœur de chacun des membres de la communauté qui se consume dans le dépassement de soi, elle ne saurait provenir de la « solidarité internationale », ni du mimétisme inconsidéré des pays  « riches ».

Le Sénégal doit sortir de cette logique servile et s’atteler à des expériences politiques plus audacieuses et des aventures intellectuelles plus fécondes, parce que, non seulement la servitude avilit profondément mais l’histoire nous enseigne aussi que servir les puissants ne garantit pas la protection, ni contre leur violence ni contre leur humiliation.
Il nous faudra pour changer notre condition, renouer avec l’amour de la Vérité et sutout, retrouver le chemin de l’Humilité, cette qualité qui élève les peuples, pour que puissent s’allumer à nouveau les lumières de la Raison dans notre cher pays.

Sidya Diop

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Dernière publication : 16/04/2024