Sénégal, maintenir vivace la flamme de la résistance contre la domination néocoloniale
(Fin)
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Ce texte qui s’inspire très largement du contexte socio politique sénégalais, se veut à la fois une critique du néocolonialisme et un hommage au combat du peuple sénégalais et africain contre l’impérialisme et ses relais locaux. Ces derniers sont constitués non seulement des membres de la classe politique, mais aussi des intellectuels, experts, hommes d’affaires, autorités traditionnelles et religieuses, tous ceux dont les intérêts sont étroitement liés à la domination néocoloniale de leur peuple.

Le peuple sénégalais à l’instar de tous les pays du monde, est composé d’individus aux convictions idéologiques différentes, mais dans sa grande majorité, il a toujours été animé d’une fibre patriotique que les hommes politiques n’ont pas su traduire dans leurs actions et programmes politiques.

Nous avons accueilli avec le plus grand enthousiasme, le déferlement de la vague « patriotique » sur la scène politique sénégalaise, si bien que notre essai « Elections en Afrique, à quand la victoire du peuple ? », dans lequel nous essayons d’analyser les conditions de réalisation d’une véritable révolution culturelle, a été consacré à l’émergence de ce mouvement.

Si nous partageons certaines de leurs idées, il nous parait assez difficile de saisir l’idéologie de ce mouvement qui se réclamait du pragmatisme à ses débuts, pour plus tard embrasser le panafricanisme, et ensuite afficher son orientation de gauche, après avoir accédé au pouvoir avec une coalition hétéroclite.

 

Est-ce le fruit du hasard qu’au terme de cette réflexion, sur les conditions préalables d’une véritable révolution, se sont passés des évènements dont certains ont interpellé à juste titre, la conscience de tous ceux qui luttent pour la libération des peuples africains du joug néocolonial ?

Parmi ces évènements, ceux que nous considérons comme significatifs concernent la question de l’octroi de dix mille hectares, c’est à dire presque la superficie de Dakar, à une entreprise italienne (Bonifiche Ferraresi), la convention d’emploi des jeunes sénégalais par des pays étrangers et la question des tirailleurs que nous avons déjà évoquée ; car ils entrent en contradiction avec les prétentions souverainistes ou gauchistes et révèlent un certain flou idéologique.

Nous ne saurions affirmer avec certitude si ces mesures sont révélatrices des orientations politiques du nouveau régime, ou si elles relèvent plutôt de la confusion que nous avons abordée à travers les différents textes « Sénégal, maintenir vivace la flamme de la résistance contre la domination néocoloniale ».

Sur la question de l’investissement étranger nous avons souvent l’habitude de prêter plus d’attention à l’importance des investissements, plutôt que sur les énormes profits qu’ils génèrent ou leur impact sur le tissu économique national. Dans le cas évoqué, il s’agit de garantir à une entreprise étrangère, contre un investissement de 87 milliards de Frs CFA (environ 132 millions d’Euros) ; l’accès sécurisé par l’Etat du Sénégal à un marché d‘une valeur de 1 070 milliards de Frs CFA (plus d’un milliard d’euros).

Notons qu’en Italie, le prix moyen de l’hectare est de 20 000 € (13 100 000 Frs CFA/ha) : 30 000 € (19 650 000 Frs CFA) en zone de plaine et de 40 000 € (26 200 000 Frs CFA) au Nord-est, c’est dire que l’acquisition des terres chez eux leur reviendrait à 200 millions d’euros soit 131 000 000 000 Frs CFA.1


En d’autres termes, accepter que les exportateurs étrangers opèrent sur le territoire national, c’est non seulement leur permettre d’échapper aux contraintes tarifaires, réglementaires et écologiques, mais surtout de capter les revenus liés aux importations, au niveau local.


Dans tous les cas le flux de revenus suit la même direction.

L’Etat pourrait-il se montrer exigeant envers les entrepreneurs nationaux, lorsqu’il se présente comme le principal soutien des entreprises étrangères ?


Nous ne sommes pas contre la présence des investisseurs étrangers, toutefois, celle-ci ne devrait pas avoir pour principal objectif de fournir des emplois précaires, mais devrait participer au renforcement des capacités de développement des forces économiques endogènes.

C’est vraiment ne pas avoir peur de la contradiction que de vouloir confier notre souveraineté alimentaire à des entreprises étrangères qui pourraient menacer notre sécurité alimentaire.

Comment peut-on prétendre défendre la souveraineté alimentaire, le développement endogène, réaliser la transformation structurelle du secteur agricole avec des projets, où ce sont les mêmes acteurs étrangers qui contrôlent toute la chaine de valeurs : les modes de production, les intrants, les semences, les technologies, les capacités logistiques ?

Comment peut-on vouloir la résilience de l’agriculture paysanne en mettant, sans aucune mesure de protection, les petits producteurs locaux en concurrence avec les géants de l’agro business ?

Cette incohérence ne résulte-t-elle pas d’une compréhension très limitée de la question paysanne dans le monde, à l’instar de ceux qui veulent faire croire que les agriculteurs occidentaux seraient parmi les plus riches dans leurs pays, confondant ainsi les multinationales agricoles avec les agriculteurs ?

La question de la convention de partenariat avec le Qatar et l’Espagne, illustre ces incohérences entre les prétentions souverainistes et certaines mesures politiques s’inscrivant dans la continuité, non seulement des précédents régimes, mais aussi celle de la logique d’asservissement des peuples africains, à travers l’utilisation du labeur de nos jeunes au service des programmes de développement de pays étrangers. 

Cette convention, relevant du principe de « l’immigration choisie », relève de la logique d’exploitation du labeur des Africains entamée depuis la période de l’esclavage où ils étaient choisis en fonction de leurs aptitudes physiques et de leurs compétences avérées dans le domaine agricole. Ce n’étaient pas des ouvriers agricoles sans compétences, qui avaient permis aux Européens de s’enrichir avec la culture du coton, de la canne à sucre entre autres ; tout comme aujourd’hui, ce sont nos ingénieurs agronomes et techniciens agricoles qui permettent aux multinationales d’engendrer d’énormes profits sur nos terres.

C’est vraiment manquer d’ambition que de quémander des emplois qui pourraient être crées par un ou plusieurs des nombreux porteurs de projets sénégalais s’ils pouvaient bénéficier du soutien de la part de leurs dirigeants.

Nous pensons que lorsqu’on fait la promesse de revoir les contrats miniers de l’ancien régime, on devrait pouvoir laisser dans les placards, des conventions portant la marque de la servilité.

Le fait que ces conventions aient été ratifiées par le parlement sénégalais, devrait être une source supplémentaire de préoccupation majeure sur le fonctionnement de nos institutions avec des élus capables de donner une base légale à notre asservissement collectif.

 

C’est également la question des tirailleurs qui exprime le mieux cette confusion affectant au plus haut niveau certains membres de la classe politico-académique au Sénégal. Les arguments présentés sont d’une telle légèreté, que cela en devient préoccupant. Est-ce de l’ignorance ou de la mauvaise foi ?

Comment une « institution » militaire créée par un pays étranger, qu’elle a accompagné dans ses projets d’expansion et de répression coloniales jusqu’à sa suppression définitive, pourrait-elle jouer un rôle positif dans le processus de décolonisation ?

S’il y a bien eu « des » tirailleurs qui se sont engagés dans la lutte pour l’indépendance, c’est seulement à titre individuel, tout comme d’autres ont pu continuer à servir les colonisateurs au sein de l’état néocolonial.

Les résistants Africains n’ont pas découvert la « vulnérabilité » de leurs envahisseurs dans les tranchées.

Pour quelles raisons célébrer ceux qui, de façon volontaire ou forcée, ont été du camp des colonisateurs ?

Pourrait-on imaginer des légionnaires, mercenaires, et même des membres d’organisations terroristes, qui pour diverses raisons, auraient été victimes de représailles de la part de leurs hiérarchies, être considérés comme d’innocentes victimes, des martyrs dont nous saluerions la mémoire ?

Pourrait-on imaginer la France honorer la mémoire de collaborateurs au régime allemand parce qu’ils auraient été massacrés par ces derniers ?

Certains soutiennent pour justifier la collaboration, le fait qu’à l’époque nous étions des « sujets français » ou parce que le rapport de forces était inégal. Notre identité serait-elle si fragile au point de dépendre de la volonté d’une nation, d’un seul trait de plume de faire de nous ses sujets ?

La résistance française n’a-t-elle pas divisé le peuple entre patriotes et collaborateurs ?

L’inégalité des rapports de force, n’a pas empêché des esclaves déportés à des milliers de kilomètres de chez eux d’affronter et de défaire l’armée napoléonienne, considérée comme étant la plus puissante d’Europe en Haïti ; ni les « nègres–marrons » de refuser se soumettre à l’humiliation de l’esclavage en Amérique et dans les Caraïbes.

Pourquoi avoir appelé les jeunes à résister contre un régime disposant de la puissance de l’appareil répressif de l’Etat au point de sacrifier des vies ?

On a toujours le choix. Les tirailleurs avaient le choix, eux aussi, de tirer sur leurs propres frères ou de retourner leurs armes contre les envahisseurs de leur pays, ou encore refuser de façon pacifique, toute forme de collaboration avec les forces occupantes.

Etant tous dans une certaine mesure, à la fois des descendants de tirailleurs et de résistants, nous ne devons en aucune manière accepter de sacrifier notre dignité collective pour sauvegarder celle des membres de certaines familles ?

Savons-nous vraiment ce que signifie une nation ?

Le « déshonneur » de certaines familles passerait-il plus lourdement dans la balance de notre conscience collective que l’humiliation de millions d’Africains qui souffrent de la collaboration de leurs élites et autres catégories sociales avec les forces étrangères depuis l’esclavage et l’asservissement colonial qui perdure ?

Nous continuons même avec des décennies de recul de montrer notre confusion dans la lecture des faits historiques tellement nous sommes enfermés dans la grille d’analyse fournie par le récit officiel dominant.

Nous pensons que les conflits entre pays impérialistes pour le repartage du monde, appelé « guerre mondiale », étaient en fait des combats qui nous concernaient.

Qu’il était justifié, même avec le recul, sans aucune étude critique de cette période de l’histoire, d’aller combattre pour la « liberté » contre le « projet génocidaire nazi » contre les noirs, et non contre celui réel que ces puissances coloniales occidentales faisaient subir à nos peuples ?

Les guerres impérialistes occidentales n’ont jamais été pour la liberté et la justice des peuples colonisés.

 

Que le massacre de Thiaroye ait fait l’objet d’une attention particulière dans les travaux académiques ne suffit pas pour en faire une préoccupation politique pour les Africains qui aspirent à se libérer du joug colonial.

Dans ce qui apparait beaucoup plus comme une posture « symbolique » qu’une démarche politique, n’est-ce pas plutôt la France qui s’en sort à bon compte ?

Cet « allié historique », dont l’armée a sévi contre des pays frères tels que l’Algérie, contre les Bamilékés au Cameroun, accusée d’être impliquée dans le génocide rwandais et a tiré sur les civils à Bouaké.

C’est même dans une certaine mesure offenser la mémoire collective de notre peuple que de réduire les crimes coloniaux de la France à ce massacre alors que les victimes se comptent par plusieurs dizaines de milliers.

Pourquoi les violences coloniales de la France au Sénégal sont-elles quasiment absentes de notre mémoire collective ? Comment se fait-il que lorsqu’on évoque « Nder », c’est pour parler du suicide collectif des femmes faisant face aux incursions des Maures et jamais des agressions de Faidherbe contre ce même village entre autres.

 
Notre histoire recèle suffisamment de martyrs à célébrer, depuis la période coloniale contre les fils du Walo, du pays sérère, du pays Diola jusqu’aux récentes victimes des violences politiques qui ont touché les jeunes sénégalais, sans oublier ceux, connus ou anonymes, qui ont donné ou dédié leurs vies à la patrie les décennies précédentes. Ils sont l’incarnation vivante de la continuité de l’esprit de la résistance nationale et panafricaine, et mériteraient à ce titre, une journée sinon plus, de célébration des martyrs de la résistance africaine.


Notre lecture émotionnelle de l’histoire et des évènements empêche toute compréhension objective des mécanismes de la persistante domination et exploitation dont nous faisons l’objet.

Nos autorités religieuses, aristocratiques ou politiques, d’hier comme celles d’aujourd’hui, peuvent faire des choix et prendre des décisions inopportunes, parce qu’elles ne sont ne sont pas infaillibles.

Aucune autorité, quelle qu’elle soit, ne peut s‘arroger le droit de décider d’une question souveraine aussi fondamentale que la mémoire collective d’un peuple, encore moins celui de de nous imposer des idoles.


Dans cette même veine, nous pensons que réduire la question historique à l’accès aux archives, est la preuve d’une défaite de la pensée.

Aucun peuple qui se respecte n’attend « l’écriture complète de son histoire » -à supposer que cela soit possible d’ailleurs- en comptant sur les archives de ses conquérants, qui disposent du pouvoir de vous y donner accès ou non et même de la manipuler.

Les archives elles-mêmes ont une histoire.

Essayer d’imposer un tel récit national, surtout lorsqu’il défie le bon sens avec autant d’audace ; ce serait à la fois imposer les ténèbres de l’ignorance au peuple et graver son indigence dans les langues de la postérité.

N’est-il pas venu le moment de nous interroger sur une société qui considère l’histoire comme une pilule qui apaise la conscience, même s’il faut sacrifier la vérité à l’autel de nos egos ?

Ne serait-il pas beaucoup plus opportun de saisir cette occasion pour procéder à une analyse critique non seulement de notre système éducatif, mais surtout d’une société qui, dans son fonctionnement, produit et reproduit l’ignorance, sacrifie la vérité, mutile la conscience des générations, en leur servant un récit qui limite leur horizon mental et leurs potentialités humaines.

 

L’une des principales leçons que l’on devrait tirer du massacre de Thiaroye est de réaliser qu’aucune nation ne respecte ceux qui ne savent pas identifier leur propre camp, celui des opprimés, de la justice, de la patrie.

Savons-nous choisir le nôtre de nos jours ?

L’esprit des tirailleurs ne survit il pas de nos jours à travers les missions onusiennes de maintien de la paix ?

Combien de nos soldats, en raison peut être de leur précarité financière, sont prêts de nos jours, à rejoindre les contingents des Nations Unies pour « pacifier » les zones d’intérêt et d’influence des pays occidentaux ?

Cet esprit de collaboration n’habite-t-il pas certains de ces produits de l’école moderne, formés grâce aux lourds sacrifices de leur peuple pour qu’ils puissent résoudre leurs problèmes, se comportent comme des « mercenaires » plus dangereux pour nos pays que les soldats ? Car ils n’hésitent pas, contre de confortables salaires, à mettre leurs compétences au service des entreprises et institutions, peu importe que leurs activités soient destructrices de nos sociétés.


Le système n’est pas seulement constitué de règles ou de procédures, mais de l’adhésion des individus à une idéologie qui détermine leurs comportements, décisions, dont la vision du monde, la définition de la réussite, la conception du développement, du progrès, le consumérisme, tout, est défini selon le paradigme capitaliste et eurocentriste.

Avec une compréhension superficielle du système que l’on est censé combattre, les solutions préconisées ne peuvent que s’inscrire dans la continuité de ce dernier.

Limiter le système à la mauvaise gouvernance c’est prendre le risque de mener de manière détournée une politique conforme à la volonté des partenaires internationaux comme la FMI et la Banque mondiale pour qui la bonne gouvernance signifie, mobiliser et étendre l’assiette fiscale pour assurer le flux de revenus consacrés au paiement de la dette.

La confusion sur les notions de patriotisme, de souveraineté et du panafricanisme, donne l’impression que ces différents concepts sont pris à la légère et appliqués à des réalités aux antipodes de leur véritable signification.

Elle révèle des incohérences d’une classe de technocrates dont l’horizon intellectuel demeure enfermé dans le cadre narratif dominant, si bien qu’elle peine à se situer dans le présent.

Les incohérences soulignées sont la preuve évidente que l’on ne saurait réduire la capacité à diriger un pays à la longueur d’un CV, ou à des expériences acquises au sein d’entreprises ou d’institutions étrangères. Si la légitimité à transformer nos sociétés devait venir des universités et institutions occidentales, autant laisser la gestion de nos pays à ces derniers.

Le développement ne s’étudie pas dans les universités occidentales qui parasitent nos sociétés. C’est confondre le projet de mise en valeur de nos colonies comme projet de développement des pays industriels occidentaux avec le développement réel et endogène de nos pays.

Sans véritable idéologie politique autre que le chauvinisme ou la « fausse fierté raciale », nous considérons comme patriotes, ceux-là même qui servent les intérêts étrangers au détriment des nôtres. Nous aurions mêmes des patriotes au sein de ces institutions qui étouffent les nations pour le profit des aristocraties financières des pays riches.

Il nous faut questionner les intérêts que servent ceux qui font « notre fierté », tout simplement parce qu’ils sont acceptés par les dominants. En adoptant cette mentalité de l’esclave qui trouve sa fierté dans la puissance de ses oppresseurs, nous perdons de vue qu’il y a des Africains qui ont choisi leur camp et qui profitent de notre oppression.

Préférant être membre des réseaux économiques tissés par les autres communautés, nous ne nourrissons aucune ambition d’être au centre de notre propre réseau. Nous valorisons les réussites individuelles de ceux qui sont cooptées par les organisations et institutions étrangères. Ce qui est plus inquiétant est le fait que nous en faisons même un critère de légitimité pour la prise de parole dans l’espace public, ou pour prétendre accéder à des postes de responsabilité.

Les nouveaux dirigeants, portés par l’élan d’espoir d’une jeunesse qui aspire au changement, sont en mesure de jouer un rôle important dans cette phase historique de la volonté de rupture d’avec l’ordre néocoloniale exprimée par les peuples. A condition toutefois qu’ils soient conscients, qu’en raison des enjeux du moment, ils seront dans l’obligation de créer les conditions de la révolution ; c’est-à-dire libérer les énergies des populations afin de pouvoir les mobiliser dans ce combat de longue haleine,  renforcer les capacités des populations à se débarrasser de la dépendance économique, élargir leur conscience politique de sorte qu’elles puissent participer de façon efficiente à l’œuvre de construction nationale.

« Le peuple », ce n’est pas la foule en colère qui, de façon sporadique, sort dans la rue exprimer sa soif de changement. « Le peuple », c’est cette énergie collective qui prends corps à travers les différents regroupements, corps de métiers, organisations diverses, exprimant la ferme volonté de s’élever à la hauteur de ses aspirations de progrès, d’autodétermination et de justice.

 

Les forces du changement, parmi le peuple Sénégalais et Africains, devraient s’unir autour d’une large plateforme qui dépasse les partis politiques au niveau national et international, et à ce titre nous lançons un appel à tous les militants panafricanistes pour :

  • Porter les véritables priorités et aspirations des populations dans l’espace publique ; d’établir un programme national de rupture abordant les questions nationales les plus urgentes : le coût élevé des biens et services, les problèmes d’accès aux soins de santé, à l’eau potable, ces problèmes qui sont les priorités des populations et qui doivent être résolues indépendamment des calendriers électoraux

  • Définir les nouveaux types de rapports que nous souhaitons avec nos gouvernants, les entreprises étrangères présentes dans notre pays, ainsi que les grands axes de notre politique étrangère vis-à-vis des pays occidentaux, la France notamment, et le reste du monde.

  • Exiger plus de justice sociale, mettre fin à l’impunité d’une classe politique qui ne cesse de trahir la nation et s’assurer que la jeunesse ne serve plus de simple tremplin pour accéder au pouvoir.


Un projet de rupture contre la domination néocoloniale ne saurait concerner uniquement nos dirigeants, qui, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises au cours de l’histoire, peuvent être assassinés lorsqu’ils ne se montrent pas très coopératifs dans l’entreprise d’exploitation et d’expropriation de leurs populations.

Nous pensons que la véritable rupture ne sera pas que politique, elle sera d’abord et fondamentalement culturelle.

L’une des premières forteresses que nous devrions faire tomber c’est celle de la tutelle épistémique.

Il n’y a pas de souveraineté économique sous la tutelle intellectuelle. Sortir de la tutelle intellectuelle occidentale, ce n’est pas rejeter toute pensée, ou connaissance sous le prétexte qu’elle viendrait de l’Occident, ce serait tout aussi suicidaire pour la vie de l’esprit, que de vivre sous la tutelle intellectuelle des autres ; c’est nous débarrasser de toutes formes « d’assignations à résidence intellectuelles », qui nous empêchent de sortir des sentiers battus.

Il nous faudra reprendre le contrôle sur notre histoire, celle du monde et du vivant, et ne pas laisser les autres définir notre réalité, fixer nos priorités. C’est cesser de commenter les pensées des autres et penser par et pour nous-mêmes.

Il ne suffit pas seulement de dénoncer les accords de défense, ou de coopération, qui ne sont en fait que la traduction juridique du pacte colonial, mais de rejeter la servitude volontaire intériorisée à travers ce contrat tacite que l’auteur que nous citons ici appelle le « contrat d’association ».

Lequel contrat, est incompatible avec l’établissement de toute forme de « contrat social », avec nos peuples, de loyauté véritable envers nos communautés d’appartenance.

Nous vous respecterons, disent les sujets, si vous commencez par vous montrer respectables ; nous vous obéirons si vous pouvez réussir à nous convaincre de toutes les supériorités de cette civilisation dont vous avez plein la bouche, et nous démontrer qu’en nous imposant votre direction, vous ne poursuivez pas uniquement votre intérêt, comme vous nous l’assurez sans cesse.



Nous oublierons tout ce que nous avons souffert comme soldats, en luttant contre votre conquête et nous vous défendrons et mourrons à côté des vôtres, ici et même hors de nos frontières, si cette servitude profite à la nation que nous sommes, nous préserve de nos voisins, dont nous avons peur, haine ou mépris, et à l’occasion nous en venge.

Nous vous servirons avec fidélité, disent les chefs et les classes supérieures, si vous servir ne nous déshonore pas, si au lieu de nous accabler de vos dédains, de nous ruiner dans notre fortune et notre orgueil, de vouloir faire de nous des complices, traitres de nos compatriotes, vous nous admettez à prendre part, suivant nos lois, à l’administration de notre pays en y conservant le rang social que nous avons acquis



Nous nous résignons à votre domination si elle est forte et si elle se montre meilleure pour notre pays et notre peuple que toutes celles que notre faiblesse nous permet encore d’espérer ou de craindre.


Tel est le schéma de la politique d’association. Elle ambitionne de rendre la domination mieux opérante et plus productive d’utilités réciproques, tout en la rendant plus supportable, et de réduire ainsi au minimum l’usage toujours stérile et coûteux de la force. 2


Voilà résumée le système néocolonial auquel nous refusons de faire face, préférant nous refugier dans le confort des illusions, qui nous font croire que nous étions indépendants politiquement et qu’il nous restait à acquérir celle économique, alors que justement, dans le monde dans lequel nous vivons, l’économie est fondamentalement politique.

C’est pourquoi dans un monde ou les forces économiques ont capturé le pouvoir politique, nous continuons de reproduire la pauvreté de nos peuples, parce que nos Etats sont en réalité les véritables colonisateurs, facilitant le pillage de nos ressources, et l’exploitation de nos populations avec des codes, traités et conventions juridiques, donnant ainsi un aspect légal à l’esclavage moderne.

En Afrique, la perte de notre souveraineté nous a fait hériter d’un Etat vassal, sans pouvoir véritable, disposant de peu de moyens pour conduire une politique nationale sans intervention étrangère.3

Cette situation se traduit par la perte de toute emprise sur notre territoire, de nos institutions et par conséquent sur notre destin.


Nous nous retrouvons ainsi dans un infernal cercle vicieux dans lequel les populations qui devraient constituer les fondations de l’Etat, si nous faisons l’analogie avec une pyramide, sont fragilisées à dessein et continuent d’attendre, en vain, du sommet qui a été capturé par les oligarchies financières étrangères, la force et l’énergie censées émaner d’elles.

C’est ainsi que se reproduit l’esprit de mercenaires, car devant la faiblesse de l’Etat, les principaux pourvoyeurs d’emplois, services d’aide sont les entreprises et ONG étrangères, qui façonnent ainsi par leur présence le tissu social qu’ils modèlent et transforment à leur guise sans avoir à tirer un seul coup de fusil ; les agents de la transformation social étant les enfants du pays.

Il sera très difficile de résoudre nos problèmes d’inorganisation, d’indiscipline, lorsque que notre société est mue, manipulée, animée telle des marionnettes par des forces extérieures, à travers des programmes politiques et sociaux financés par différents acteurs ayant des intérêts différents et divergents avec ceux de nos populations.

C’est par « cette allégeance » des forces vives de nos peuples aux nations étrangères que nous peinons à construire des liens de solidarité, à développer un fort sentiment d’appartenance communautaire et de patriotisme.

Il nous faut sortir de cet artificiel univers qu’est la captivité coloniale où tous nos rôles sont viciés, les relations gouvernants/gouvernés ; hommes/femmes, parents/enfants et individus/environnement, le savoir, sont fortement influencées par la domination.

La véritable révolution consiste à briser ce cycle par l’établissement de nouvelles relations entre nous, en renforçant les capacités de résilience des populations, l’adoption d’un leadership plus audacieux.


Nous nous trouvons à un moment de l’histoire où nous ne pouvons plus nous contenter d’un anti impérialisme ou d’un panafricanisme de façade, d’un panafricanisme qui se contente de commenter le monde, encore moins d’un internationalisme qui se réduit à d’éphémères manifestations et évènements, incapable de construire des dynamiques sociales porteuses de véritables changements.

Après plus d’un demi-siècle de pseudo-indépendance, nous disposons toujours d’une classe politique qui n’est intéressée que par la capture des prébendes provenant de la gestion de l’appareil d’Etat. Il n’existe aucun consensus réunissant les différents partis et forces vives de la nation, sur la cause fondamentale de notre sous-développement.


C’est ce consensus, qui chez nous, devrait porter sur le refus de la domination étrangère qui fonde la solidité de nos institutions, traverse les différents régimes.

Toutes les communautés s’accordent sur des éléments qui les permettent d’aborder les questions fondamentales sur une base consensuelle, surtout dans leurs relations avec le reste du monde.

Il nous faut retrouver notre vocation de bâtisseurs de nation, en développant par nous-mêmes les valeurs, caractères, compétences dont notre société a besoin pour se retrouver et s’élever. On ne construit pas une nation sur les fondations élevées par des autres communautés.


S’il est possible de s’inspirer de certaines expériences portant sur les réalisations matérielles de ces pays, l’état d’esprit qui les sous-tend ne saurait être importé.

Nous pouvons faire le tour du monde pour voir ce qui se fait ailleurs, mais aucune veille, ne pourra saisir le feu qui anime les peuples de l’intérieur.

C’est le désir d’autodétermination, la ferme volonté de consentir les sacrifices nécessaires pour sortir de la domination qui nourrissent la flamme de la résistance, tout développement endogène.


Pour faire face à la doctrine coloniale, il ne suffit pas seulement de changer les hommes à la tête de nos Etats, il faut aussi changer ce qui se trouve dans la tête des serviteurs de nos Etats. Cela ne se réduit pas aux seuls membres des gouvernements, mais également aux fonctionnaires, membres des institutions, judiciaires, militaires, à tous ceux qui à des degrés divers permettent l’exécution des politiques publiques, économiques et sociale ainsi qu’aux citoyens. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle classe politique disposant d’une vision partagée par une large portion de la population, capable de cristalliser l’énergie collective vers la transformation radicale et positive de notre société, et de réorienter l’administration de l’Etat néocolonial vers une direction libératrice.

Nous devons nous libérer de cette occupation idéologique de notre univers mental et psychologique, qui confine nos rêves et ambitions dans les limites définies par l’Occident.

Cesser de copier un modèle qui a largement montré ses limites.

En quoi la lutte acharnée de tous contre tous, la destruction de la nature, la commodification des relations sociales fondamentales l’artificialisation de l’existence entamée depuis l’avènement du capitalisme sauvage, ont-elles élevé notre humanité ?

Notre véritable mission à nous, Africains, est de restaurer la dignité humaine dans un monde que l’impérialisme occidental a transformé en un univers pire qu’une véritable jungle.


Il n’y a aucun mérite à célébrer, nos réalisations au sein de cet univers morbide.

C’est vivre dans une grande confusion que de chercher à transformer les carcans de la servitude en médailles de gloire, de confondre l’orgueilleuse fierté nationale avec le véritable sens de l’honneur et de la dignité.

 

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Notes

 

1 Note sur le prix de l’hectare en Italie
Agriculture et agroalimentaire
Publié le 15 décembre 2020

2 
Nous vous respecterons disent les sujets, si vous commencez par vous montrer respectables ; nous vous obéirons si vous pouvez réussir à nous convaincre de toutes les supériorités de cette civilisation dont vous avez plein la bouche, et nous démontrer qu’en nous imposant votre direction, vous ne poursuivez pas uniquement votre intérêt, comme vous nous l’assurez sans cesse.

Nous voulons bien travailler pour vous, mais à la condition que nous y trouverons d’abord notre avantage et parce que nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que sous votre surveillance le travail, devenu plus nécessaire, est aussi devenu plus fructueux et plus sûr, et que nos propriétés sont mieux garanties.

Vous êtes profondément antipathiques à notre nature. Cependant, nous subirons votre direction, à la condition aussi que notre genre de vie n’en sera pas aussi bouleversé, que vous ne prétendrez pas nous soumettre des idées et des institutions que nous ne pouvons pas comprendre, nous forcer à consommer des produits dont nous n’avons pas besoin, que nous n’aurons pas avec vous que le moins de contact possible, que la plupart d’entre nous ne s’apercevront de votre action que par ses résultats.

Nous paierons les impôts que vous exigez de nous, mais à la condition que nous puissions constater qu’ils nous servent et que le produit en reste chez nous, qu’ils n’entrainent pas pour notre misère des renchérissements factices, qu’ils ne se dissipent pas en luxes qui nous sont inutiles et incompréhensibles ;et qui, insultant à notre pauvreté, vous montreraient à nos eux comme des parasites et des menteurs.

Nous oublierons tout ce que nous avons souffert comme soldats, en luttons contre votre conquête et nous vous défendrons et mourrons à cote des vôtres, ici et même hors de nos frontières, si cette servitude profite à la nation que nous sommes, nous préserve de nos voisins, et à l’occasion nous en venge.

Nous vous servirons avec fidélité disent les chefs   et les classes supérieures si vous servir ne nous déshonore pas, si au lieu de nous accabler de vos dédains, de nous ruiner dans notre fortune et notre orgueil, de vouloir faire de nous des compliques, traitres à nos compatriotes, vous nous admettez à prendre part à nos lois, à l’administration de notre pays en y conservant le statut social que nous avons acquis.

Nous vous aiderons ou nous laisserons faire, disent les princes, si vous compensez par des avantages matériels appréciables et des illusions consolantes pour notre vanité, la diminution de pouvoir que vous nous infligez, et si vous nous persuadez que votre protection, que nous n’avons pas demandé, nous offre la seule chance de survie qui nous reste.

Nous nous résignerons à votre domination si elle est forte et si elle se montre meilleure pour notre pays et notre peuple, que toutes celles que notre faiblesse nous permet encore d’espérer ou de craindre.


Tel est le schéma de la politique d’association

Extrait de « Domination et Colonisation » de Jules Harmand,
Ed. Ernest Flammarion, 1910
p.161 à p.163

Une conception claire de la nature de nos rapports avec le reste du monde, recherche constante d’une autonomie dans les différents domaines d’activité, transformer les contraintes et pesanteurs en instruments de force et d’influence, économique, politique commerciale et militaire.

 

3 L’ordre, base de la domination
Si le fondement moral de la conquête coloniale est la foi du conquérant en sa supériorité, la base expérimentale de l’association est le fait que ce qui manque aux sociétés indigènes des plus avancées et des plus perfectibles, ce n’est pas tant l’intelligence que la faculté interne de l’ordre et de la discipline. Ces peuples ont des besoins assez grands et assez variés déjà pour apprécier et rechercher les bienfaits de la sécurité, mais cette sécurité n’est réalisable que sous des gouvernants solides et bien organisés, capable d’assurer la distribution régulière de la justice et l’intègre perception de l’impôt. Leurs chefs ne sont dépourvus ni de l’idée ni de l’intention du bien public. Mais ils n’ont pas la possibilité de la longue attente des résultats et ils manquent d’ailleurs des réserves de capital et des connaissances scientifiques sans lequel on ne peut maitriser une nature débordante et fantasque. Sans même parler des dangers extérieurs qui peuvent les paralyser, ils sont obligés rien que par les difficultés et les désordres intérieurs, de vivre au jour le jour.

Ayant parfois des lois parfois excellentes, traduisant et synthétisant parfaitement leur évolution, ils n’ont pas les moyens de les appliquer, et cette impuissance contribuent à les démoraliser. Décourager par une tache supérieure à leur force, ils en arrivent à ne plus chercher dans le pouvoir que des avantages personnels, s’ingéniant seulement à perpétuer les abus dont ils vivent et qui finissent par envahir le système du gouvernement tout entier.

Sous ce régime ou la violence et la faiblesse, l’arbitraire et le laisser-aller se mélangent, le peuple, de son côté, travaille à vide. Son activité, déjà contrarié et réduite, ne laisse presque rien au gouvernement et le mince produit obtenu se disperse encore en route. Non seulement il n’y a plus entre l’intérêt des administrés et ceux des administrateurs cette concordance sans laquelle il n’y pas de bon gouvernement possible, mais ces intérêts s’opposent. La concussion et la corruption deviennent universelles et le désordre est irrémédiable.

Les effets de l’ordre dans la domination

Seul un gouvernement étranger, fort et ordonné, est en état de faire sortir de ce cercle vicieux les populations et les pays de ce genre. Rien qu’en pénétrant dans ce chaos, avec sa régularité, son honnêteté et le désintéressement personnel de ses agents, il exerce une action dont les résultats apparaissent promptement comme extraordinaire.

Extrait de « Domination et Colonisation » de Jules Harmand,
Ed. Ernest Flammarion, 1910
p.165 à p.166